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Décrocheurs - Aussteiger - Dropouts

artistes, anarchistes, proto-écologistes, vagabonds et hippies

un récit possible du XXème

Partie I:  Colonies d’Artistes

(temps de lecture : 30 minutes)

 

C’est dès le début du XIXe (1814 à Willingshausen puis 1822 à Barbizon) que se forment des regroupements d’artistes qui portent pour titre Colonie, ou École, selon que l’on se trouve être en Allemagne ou en France. De ces regroupements on en retrouvera notamment en Angleterre (Saint-Ives et Newlyn School en Cornouailles); en Belgique (Genk et Tervueren); en Hollande (Katwijk et Oosterbeek); en Pologne (Kazimierz-Dolny); en Russie (Abramtsevo); en Lituanie (Nida); en Finlande (Onningeby); et jusqu’en en Norvège à Balestrand.

 

La plus ancienne colonie d’artistes connue est celle de Willingshausen, dans la Hesse, en Allemagne, et qui a le mérite de rassembler les critères qui rassemblent les colonies d’artistes du XIXème : le prototype de la colonie d’artiste tient à la découverte enchantée d’un site par un peintre, qui fait part de son enthousiasme à des amis peintres, qui le rejoignent périodiquement ou s’installent sur le site.

L’on compte près de deux cents de ces colonies en Europe entre 1870 et 1914, et si certaines de ces colonies sont encore actives aujourd’hui, d’autres ont été réanimées pour répondre à des demandes patrimoniales, et d’autres encore sont éteintes. La Colonie d’Artistes de la rue Szabados de Budapest, créée en 1909, est encore active aujourd’hui.

 

Les colonies d’artistes du XIXème partagent deux caractéristiques fortes:

  • Elles rassemblent des peintres obnubilés par le paysage. Il s’agit le plus souvent, et c’est pour cela que l’Ecole de Barbizon en est un si bon emblème, des peintres qui ont renoncé à l’atelier et trouvé un vif plaisir à peindre en extérieur (à l’aquarelle, à la gouache, puis à l’huile). Pour la réalisation de leurs aspirations, ces peintres ont toutes et tous engagé un mouvement de l’intérieur (des ateliers, des habitations, des villes) vers l’extérieur (les prés, les bois, le ciel).

  • Les colonies d’artistes rassemblaient des peintres autodidactes, qu’aucun désir de reconnaissance officielle ne semblait émouvoir. Leur ancrage, comme leurs sujets, était local. Comme ils ont tourné le dos à la ville, ces artistes ont tourné le dos à l’académie pour entreprendre une démarche personnelle pour laquelle ils n’acceptaient d’autre appréciation que celle de leurs homologues. Les colonies d’artistes vont fournir notamment en Allemagne l’essentiel des troupes et des motifs qui constitueront les Sécessions et que l’on retrouve en France avec les salons des refusés ou des indépendants.

Les colonies d’artistes étaient des rassemblements de personnes élues et reconnues entre elles sur la base de leur activité plastique. Cette reconnaissance a su s’affranchir des frontières administratives des états et à favorisé la diffusion la plus large d’idées communautaires, de modèles de sociabilité, et de pratiques artistiques.

 

Il convient d’ajouter que toutes les colonies apparaissent et se développent simultanément aux développements des chemins de fer. Les colonies d’artistes doivent toutes quelque chose à l’implantation des voies ferrées et des gares dans des territoires autrefois reculés ou inaccessibles. L’irruption de populations urbaines et cultivées, dans des territoires ruraux, placée sous l’égide d’une critique de l’industrialisation capitaliste, a permis la constitution d’un attelage assez inattendu entre l’avant-garde et les traditions populaires. Précisément : le déplacement de ces artistes depuis les villes vers les campagnes a permis l’éclosion d’une avant-garde (radicalement opposée aux codes usuels de la représentation) dans une ruralité relativement isolée mais surtout supposée archaïque, au moins d’un point de vue esthétique. 

L’implantation et le développement des colonies dans les campagnes d’Europe et auprès de ses populations vient tordre le cou au présupposé qui voudrait que la ruralité soit par définition arriérée. L’histoire des colonies d’artistes montre à quel point elle fut le terreau propice au développement de formes artistiques radicalement en rupture avec les canons de l’esthétique et de la représentation.

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Alexej von Jawlensky

Paysage près de Murnau, 1910

Hilti Art Foundation, Schaan

C’est parce que la paysannerie et l’artisanat des villageois était perçu comme un gage d’authenticité par les artistes que ces derniers furent très bien accueillis par les populations locales, qui trouvèrent là également le moyen de développer des activités d’accueil.

Fourier-Thoreau

Fourier - Thoreau

La conception des colonies d’artistes, la possibilité de les imaginer, doit beaucoup au principe élaboré par Charles Fourier en 1808 dans l’ouvrage Théorie des quatre mouvements et des destinées générales : prospectus et annonce de la découverte, et qui détaille en principes l’organisation du Phalanstère. Cette idée, adossée à celle de L’Attraction Passionnée du même auteur, structure la possibilité d’une harmonie universelle des humains et forme une critique radicale de la société industrielle qui  va être très en vogue sur tout le 19ème siècle. Les colonies d’artistes sont inspirées par un mode de vie communautaire dont l’organisation permet à chacun de ses membres un épanouissement personnel dans son domaine de prédilection.

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Henry Fugère et Charles Daubigny

Vue d’un Phalanstère, village français composé d’après la théorie sociétaire de Charles Fourier, ca 1820

Houghton Library, Harvard University, USA

 

Ce modèle organisationnel, celui de la communauté, garde encore quelque chose d’enviable et qui transparaît dans l’ensemble des modèles communautaires : qu’il s’agisse des associations les plus sages ou des ZAD les plus engagées. L’idée dont il entretient la persistance est celle de l’épanouissement des facultés personnelles, dans un environnement coopératif donc bienveillant. Cette vision idéalisée s’est souvent heurtée à des dissensions internes qui ont dans certains cas conduit à la dissolution de la colonie, et on doit garder à l’esprit que la fondation des colonies se fait autour de l’expérience d’une seule personne (qui en agrège d’autres en partageant son enthousiasme). Néanmoins, cette image positive et persistante de la colonie (jusqu’aux colonies de vacances) porte une critique de l’organisation du travail et de la société de laquelle est issue la colonie. 

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anonyme

Enfants travaillant dans une fabrique, 1833

 

Si, dans la société, l’idée du travail est indexée sur celle du labeur, dans la colonie elle se retrouve associée à celle d’une dévotion entière et désintéressée (qu’à l’excès on nomme souvent : la passion). Et cette notion a quelque importance puisque la motivation des colonies, leur raison d’être, ça n’est ni le loisir ni l’oisiveté mais bien le travail et la production : il s’agit de peindre et les peintres diraient (et disent encore) : il s’agit de travailler.

Travailler, et même : travailler sans compter ses heures, et travailler dans des conditions réunies pour permettre le développement d’une faculté typiquement humaine : la créativité. Les colonies, par leur organisation, soutiennent la possibilité que la créativité, vertu encore cardinale de nos jours, s’obtient par la bienveillance et non pas par la coercition.

L’inspiration des colonies d’artistes provient de l’idée que les individus aiment travailler. Le travail n’est pas le régime d’un asservissement ou de l’exploitation d’un individu sur un autre, non : le travail est une activité régulière favorisant l’épanouissement des individus et participant de l’enrichissement matériel et spirituel de la communauté.

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Henry David Thoreau

Walden ou la vie dans les bois

édition de 1854, Ticknor and Fields, Boston

 

La seconde référence indispensable à l’appréhension des colonies d’artistes, c’est celle de David Thoreau, qui publie en 1854 un récit autobiographique pamphlétaire titré Walden ou La Vie dans les Bois. Dans ce livre, Thoreau relate l’expérience d’hermite qui fut la sienne durant deux ans, deux mois et deux jours, vivant dans une cabane isolée dans une forêt du Massachusetts. Thoreau y développe un récit naturaliste dans lequel il exprime l’émerveillement qui fut le sien à découvrir la réelle intensité de la nature en y vivant immergé, ainsi que l’idée d’un renouvellement de l’individu au contact intime de la nature et enfin celle de la prise de conscience de la nécessité d’inspirer toute action et toute éthique sur le rythme des éléments.

Cet ouvrage est donc à la fois une critique du monde occidental aux premiers jours de son industrialisation totale, et un premier pas vers une éthique transcendantaliste qui croit à la bonté inhérente des humains et de la nature.

 

L’accueil fait au livre de Thoreau est d’abord assez limité : les critiques abondent, incrédules, ou jugeant inacceptables d’un point de vue chrétien les propos de Thoreau. C’est seulement à partir de 1926 que l’ouvrage connaîtra une reconnaissance enviable : cité par John Macy dans The Spirit of American culture comme un élément fondateur de l’esprit pionnier américain, Walden va se retrouver parmi les oeuvres maîtresses de la littérature américaine, rangée entre Moby Dick d’Herman Melville et Feuilles d’Herbe de Walt Whitman.

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Walt Whitman (1819-1892)

Feuilles d’Herbe

recueil de poésies, édition française de 1909

Partir au Paysage

Partir au Paysage

Si les colonies d’artistes sont exclusivement constituées de peintres ou de dessinateurs, c’est parce que ces techniques, ces supports, ces médiums sont ceux qui sortent facilement de l’atelier. 

Rodin est condamné à l’atelier, Rodin est condamné à une organisation industrielle faite de transports, d’ouvriers, de prestataires…

Le chevalet trouve facilement sa place dans le filet à bagages du compartiment. Quelle qu’en soit la classe.

Et lorsqu’elles ont enfin quitté l’atelier pour prendre le train, ces brosses, toiles et chevalets n’ont qu’une hâte : qu’on les porte enfin dehors, au loin, dans les herbes folles et au bord des étangs, sur les rivages, dans les montagnes et les champs, qu’on les déballe et les installe pour qu’enfin l’artiste puisse s’immerger dans la nature pour en produire le paysage.

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Karl Eduard Biermann

Borsigwerke, Berlin, 1833

Archives Fédérales Allemandes

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Claude Monet

Bras de Seine près de Giverny, 1897

Museum of Fine Arts, Boston

 

Par leur travail, les peintres du paysage montrent et rappellent à qui veut s’en souvenir que la nature c’est la paix, et que c’est de cette paix que le Monde est enchanté. C’est sous chaque brin d’herbe, sur le moindre talus, à l’orée du bois et au bord de la rivière, dans les nuages comme dans la brume, que ces peintres trouvent l’enchantement du monde, et c’est ce que nous retrouvons dans leurs tableaux.

L’art et la vie

Les colonies d’artistes ne sont pas toutes des projets politiques déclarés. Les colonies d’artistes ne sont animées d’aucune intention révolutionnaire explicite. Abrités par l’idée commode que les artistes sont des marginaux impossibles à assimiler et tout à fait inoffensifs, les artistes réunis en colonies vont toutefois produire des modèles organisationnels et culturels qui vont soutenir des idées subversives (sortir de la société) et proposer des modèles alternatifs (la vie à plus à voir avec la nature qu’avec l’argent). C’est sous la bannière du rejet de la modernité industrielle et urbaine que se rassemblent ces communautés qui proposent de mailler l’art et la vie en une oeuvre d’art totale susceptible de réaliser une approche holistique des existences (Gesamtkunstwerk).

 

Si les Colonies d’Artistes n’ont pas de vocation politique ou sociale déclarée, il demeure intéressant de noter que la fin du XIXème siècle a fourni à un certain nombre d’artistes des raisons de s’organiser avec une volonté sociale forte. On pense ici d’abord à la Fédération des Artistes de Paris (dont : Corot, Courbet, Daumier, Millet et Manet) qui , pendant la Commune de Paris, qui a déclaré par voie de manifeste sa volonté d’engager et de s’engager dans des enseignements artistiques qui seraient dispensés dès l’école primaire. 

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Affiche pour la convocation de la commission Fédérale des Artistes

Paris, 17 avril 1871

 

On pense également au groupe composé de Degas, Monet, Renoir, Sisley, Pissarro, Prins et qui fonda la Société anonyme Coopérative des Artistes Peintres Sculpteurs et Graveurs le 27 décembre 1873 afin de se doter des moyens et de la personne morale qui leur permette d’organiser et de produire leurs propres expositions. 

Cette initiative permet à ces artistes de s’affranchir de la tutelle de l’Académie et réalise alors la première Sécession de l’histoire de l’art.

 

Le développement des colonies d’artistes est interrompu par la Première Guerre mondiale et peu d’entre elles restent actives par la suite. De ce grand mouvement transnational reste non seulement un riche ensemble de créations artistiques, mais aussi l’invention d’une contre-culture fondée sur l’idéal communautaire, la préservation de la nature, la libération morale et sexuelle, l’égalité sociale.

L'Art et la Vie

1822-1875 École de Barbizon

Comme pour l’impressionnisme, le nom d'École de Barbizon a été forgé par un critique d’art David Croal Thomson en 1891, soit près de soixante-dix ans après le début de ce mouvement. 

 

Barbizon, situé au nord de la forêt de Fontainebleau, a été le lieu de ralliement de quantité de peintres et dessinateurs venus d’horizons et de nations différentes, inspirés par l’initiative que l’on attribue à Corot et qui consiste à quitter l’atelier pour peindre immergé dans son sujet : la forêt, le paysage.

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Melun et Barbizon

Carte Topographique de la France, 1836

 

Camille Corot est le premier à explorer régulièrement la forêt de Fontainebleau pour y venir trouver des paysages qui lui semblent authentiques, c’est-à-dire vrais, dépourvus de fioritures ou de maniérisme. C’est donc là, près de Paris mais suffisamment loin de son urbanisme étouffant, qu’il trouve accessible un écrin de nature : une nature qui fasse monde et qui puisse devenir le sujet de sa peinture.

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Jean-Baptiste Camille Corot

Forêt de Fontainebleau, 1834

Washington National Gallery of Art

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Amélie Legrand de Saint-Aubin

L’atelier de l’artiste, 1833

Musée des Beaux-Arts de Caen

 

En 1824, Paris découvre les tableaux de John Constable au Salon de Paris, et il naît alors en engouement pour la peinture de paysage dont Corot est reconnu comme le précurseur et qui voit quantité de peintres d’ambitions fort différentes entreprendre le voyage vers Barbizon pour y peindre. Les scènes rurales peintes par Constable eurent une influence décisive sur des artistes plus jeunes, les menant à renoncer au formalisme de l'époque et à tirer leur propre inspiration de la nature : ils produisirent des toiles souvent rurales, s'éloignant de la mise en scène des drames mythologiques requis par l’académie et les salons. De fait, ce mouvement des peintres vers la nature est une déclaration d’indépendance.

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Jean-Gilles Berizzi

Camille Corot en train de peindre, 1885

RMN-GP (Musée d’Orsay)

 

Les peintres découvrent avec la forêt de Fontainebleau un sujet rassurant puisque reconnu par des pairs, un sujet traité par des peintres dans lesquels ils se reconnaissent esthétiquement et socialement. Ici, on travaille uniquement avec ce que l’on est capable d’emporter. On y pratique une peinture dont le jugement de l’auteur lui-même est la seule mesure, dans un genre jugé tout à fait mineur par l’académie puisqu’il s’agit de son point de vue de rien d’autre que d’un exercice d’observation.

 

Ce mouvement devient un mouvement de foule à partir de 1849 et de l’ouverture de la ligne de chemin de fer qui relie Paris à Fontainebleau, au point que la presse s’empare du phénomène pour s’en moquer en parlant de peintres plein-airistes. Ces peintres sont alors si nombreux qu’ils animent à eux seuls les villages de Bourron-Marlotte, Chailly-en-Bière et, bien sûr, Barbizon. Et la notoriété de ce nouveau format de l’activité picturale est telle qu’elle amène en forêt de Fontainebleau des peintres venus d’Allemagne, des Pays-Bas et des États-Unis.

 

L’immersion des peintres dans le paysage est aussi une immersion dans un terroir et favorise l’idée d’un art de vivre qui soit dans la continuité de celui de peindre. Peindre la nature, immergé dans celle-ci, est un travail contemplatif qui requiert de la tranquillité, c’est le remède au charivari des villes enfumées.

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Adolph von Menzel

La Forge (Cyclopes Modernes), 1875

Altes Nationalgalerie, Berlin

 

L’École de Barbizon autorise une pratique de la peinture qui ne soit pas dépendante des moyens fonciers pour la réaliser. Nul besoin d’un atelier avec quatre mètres sous plafond et d’immenses fenêtres qui le rendent impossible à chauffer. Point de toiles tendues sur d’immenses châssis… Ce mouvement est donc un mouvement populaire, tourné vers un sujet qui ne doit pas sa forme à l’intervention des hommes : la nature, et qui est pour ses adeptes l’occasion de la redécouverte d’une vie simple, rurale, celle des villages qui entourent la forêt de Fontainebleau et dont les auberges et cabarets (celui de la mère Antony à Marlotte sera peint par Renoir) abrite les discussions animées d’une époque qui est aussi celle de la Révolution Française de 1848.

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Auguste Renoir

Le Cabaret de la Mère Antony, 1866

Nationalmuseum, Stockholm

 

A partir de la Révolution Française de 1848, les peintres de l’École de Barbizon élargissent leur sujet pour y intégrer la paysannerie et les travaux des champs. C’est avec l'œuvre emblématique de Jean-François Millet Des Glaneuses que s’opère un tournant social-réaliste qui fait l’éloge d’une vie simple, sans démonstration ni mise en scène dramatique, privilégiant une représentation de la dignité dans le travail. 

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Jean-François Millet

Des Glaneuses, 1857

Musée d’Orsay, Paris

 

L’École de Barbizon perd de son engouement après la guerre franco-prussienne, vers 1875, laissant derrière elle l’expérience d’une peinture réalisée en immersion dans son sujet : la nature; tournant résolument le dos à la cité, ses fumées et son académie; et portant un regard attentif sur la paysannerie qui la peuple.

 

Barbizon fournira également le prototype de ce qui se développera notamment en vallée de Chevreuse, à Cernay-la-Ville, à partir de 1835 et jusqu’en 1914.

Barbizon

1858-1912 Coopérative d’Artistes de Münich

Fondée en 1858, la Coopérative d’Artistes de Munich (Münchner Künstlergenossenschaft) fut la première association d'artistes de Bavière. La Coopérative se donne pour but le développement de la visibilité des artistes bavarois en organisant des expositions dans toute la région. La Coopérative voit ses statuts approuvés par le roi Louis II de Bavière en 1868, ce privilège va permettre d’asseoir la notoriété internationale de la Coopérative, mais aussi d’en corseter l’organisation, les critères esthétiques et l’intégration.

 

La direction de la Coopérative demeure conduite par des artistes, et son calendrier est polarisé autour de la grande exposition annuelle, qui devient bientôt un événement comparable au Salon parisien. La Coopérative exige de ses futurs membres une formation académique complète, la soumission aux codes de la composition et une évidente expressivité, en plus d’une technique irréprochable.

La Coopérative d’Artistes de Munich est la vitrine officielle de l’art en Bavière, adoubée par les plus hautes instances du pouvoir et tenue par les artistes eux-mêmes. La Coopérative se plie à partir de 1886 aux vues du prince Léopold de Wittelsbach, qui ne consent à d’autre peinture que celle portant les valeurs et le récit d’une histoire nationaliste. On parlera alors d’une peinture qui soit celle de l'École de Munich, dans laquelle on trouvera notamment Wilhelm von Kaulbach et qui sera fréquentée par Gustave Courbet en 1851.

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Wilhelm von Kaulbach

La Bataille de Salamine, 1868

Maximilianeum, Munich

 

Consentir aux critères du prince permet aux artistes de soumettre leur candidature, susceptible d’être acceptée seulement au terme de trois participations à l’exposition annuelle, et d’accéder au sérail bavarois de l’art, composé d’amateurs, de collectionneurs et de patrons de presse. Pour y parvenir, les prétendants sont prêts à tous les sacrifices, y compris l’endettement.

La Coopérative compte plus de 900 membres en 1890, et c’est sa rigidité académique et institutionnelle qui, excluant toute intrusion par des nouveaux mouvements (Impressionnisme, Japonisme et Symbolisme) provoque des ruptures successives:

  • en 1873 un groupe d’une cinquantaine d’artistes conduits par Franz von Lenbach et Lorenz Gedon se sépare de la Coopérative pour fonder Allotria afin de trouver des espaces d’exposition alternatifs et le lieu d’un débat artistique plus dynamique. Franz von Stuck et Lovis Corinth feront partie d’Allotria.

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Franz von Ledenbach

Un jeune berger, 1860

Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Munich

 

  • en 1892 a lieu la Sécession de Munich, qui se réalise par la création de l’association éponyme en fusionnant trois associations de peintres bavarois (dont Allotria), on y trouve notamment Max Liebermann et Paul Hoecker. Cette sécession est la première d’un genre qui va essaimer dans l’ensemble du monde germanique et participer à l’émergence du Jugendstil. La Sécession rassemble des artistes de sensibilité naturaliste animés par une large ouverture d’esprit aux courants artistiques qui animent la fin du XIXème siècle.

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Max Liebermann

Garçons se baignant, 1898

Neue Pinakothek, Munich

 

L’activité de la Coopérative des Artistes de Munich, suivie de celle de ses contestataires, a produit dans cette ville l’enracinement d’une activité artistique de tout premier plan en Europe à la fin du XIXème siècle, produisant le foyer le plus vif des avant-gardes européennes puisque l’épopée des artistes de Munich connaît un nouveau rebondissement en 1909 avec la création de la Nouvelle Association des Artistes de Munich, dont le préalable fut la colonie de Murnau : aventure très personnelle de deux couples : Vassily Kandinsky et Gabrielle Münter d’une part, Alexei von Jawlensky et Marianne von Werefkin d’autre part. C’est à Murnau que les deux couples réalisent une transition artistique qui les conduit du post-impressionnisme à une abstraction décrite comme une quête de l’essentiel.

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Gabriele Münter

L’ombre de la barrière, 1908

Château de Murnau, VG Bild-Kunst, Bonn

 

La Nouvelle Association des Artistes Munichois (Neue Künstlervereinigung München), fondée le 22 janvier 1909, par un petit groupe d'artistes en rupture avec un art naturaliste qui a désormais largement emprunté à l’impressionnisme.

Vassily Kandinsky en est le président, entouré d’Alexej von Jawlensky (rencontré en 1897 à l’école d’art de Anton Azbe que fréquentait Marianne von Werefkin) et d’ Adolf Erbslöh. La création de l’association s’accompagne de la rédaction d’un manifeste très formaliste qui prévoit notamment de débarrasser les formes de tout ce qui est secondaire pour ne mettre en évidence ce qui est essentiel à l'œuvre. 

 

L'Association se veut un rassemblement eucuménique d'artistes pratiquant des formes d’art diverses, et se déclare ouverte aux artistes de toutes disciplines, allemands ou étrangers, pourvu qu’ils adhèrent à son principe fondateur : débarrasser les formes de tout ce qui est secondaire pour mettre en évidence l’essentiel.

La première exposition se tient début décembre 1909 à Munich, elle comprend 128 œuvres présentées par seize artistes, parmi lesquels on trouve Robert Eckert, Karl Hofer, Alexej von Jawlensky, Vassily Kandinsky, Alfred Kubin, et Marianne von Werefkin.

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Vassili Kandinsky

affiche pour la première exposition du NKM, 1909

 

La deuxième exposition se tient en septembre 1910 et est marquée par la présence d’artistes étrangers parmi lesquels on trouve Georges Braque, Vassily Denissov, André Derain, Kees van Dongen, Pablo Picasso, Georges Rouault et Maurice de Vlaminck, en plus de ceux déjà présents à la première exposition.

 

Kandinsky se sent finalement incompris des autres membres du groupe et, dès la fin de 1910, envisage la rupture puis démissionne de sa fonction de président. Les doutes de Kandinsky à l’endroit du groupe se trouvent vérifiés en décembre 1911 lorsque son tableau Composition V est refusé au prétexte de dimensions excessives.

À la suite de cet incident, Gabriele Münter, Franz Marc et Kandinsky quittent le groupe.

La troisième exposition se déroule du 18 décembre 1911 au 1er janvier 1912. Il s’agit en fait de deux expositions simultanées qui révèlent la scission de la Nouvelle Association des Artistes Munichois et la création d'un nouveau mouvement Der Blaue Reiter (Le Cavalier Bleu) composé de Vassily Kandinsky, Franz Marc, August Macke, Gabriele Münter, Marianne von Werefkin, Heinrich Campendonk, David Bourliouk, Alexej von Jawlensky, Paul Klee et Alfred Kubin.

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Gabrielle Münter

Les membres du Blaue Reiter sur le balcon du 36 Ainmillerstrasse à Munich, 1911

(de gauche à droite : Maria et Franz Marc, Bernhard Koehler, Heinrich Campendonk, Thomas von Hartmann, 

assis devant Wassily Kandinsky)

 

Le régime nazi va se charger de dissoudre ces associations en 1938, pour les intégrer à la Reichkunstkammer, qui se verra dépositaire exclusive de tous les biens et oeuvres rassemblés par ces associations d’artistes.

 

Reprenant des modèles d’organisation communautaires plus ou moins horizontaux, autolégitimés et plastiques (ou en sort assez facilement), cet enchaînement de coopératives en groupes, de groupes en associations et d’associations en mouvements témoigne de l’effervescence que fut la vie artistique munichoise de l’époque. 

Cet essor artistique étonnant, qui va déplacer le “centre du monde de l’art” depuis Paris vers Munich, est accompagné de la création de théâtres, de musées et d’écoles spécialisées et la ville verra sa population multipliée par cinq entre 1850 et 1900 (640 000 habitants en 1913). 

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Marienplaz, Munich

carte postale, ca. 1910

https://www.bartko-reher-cpa.fr

 

Munich va se trouver au cœur de l’invention des avant-gardes européennes et ainsi jouir d’un rayonnement culturel international, avec pour épicentre le quartier de Schwabing, et dont Vassili Kandinsky sera un pivot essentiel.

Munich

1860-1890 Grez sur Loing

 

Une conséquence du succès de l’Ecole de Barbizon est à trouver dans la dispersion des peintres de paysage dans un certain nombre de villages qui entourent la forêt de Fontainebleau.

 

En 1880, quelques-uns de ces peintres (dont Jean-Baptiste Corot, Camille Pissarro et Constant Dutilleux) élisent le village de Grez-sur-Loing comme base de leurs itinérances picturales. Village qui profite donc de l’implantation récente de la gare de Bourron-Grez, et qui sait faire bon accueil à des peintres souvent sans le sou dans les deux auberges que compte le village.

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La rue principale de Grez-sur-Loing et l’Hôtel Chevillon vers 1860

 

Sans que les motivations soient aujourd’hui parfaitement claires, Grez va devenir en une quinzaine d’années un centre international du rayonnement de l’Impressionnisme. C’est à Grez que quantité de peintres d’Europe, des Etats-Unis et même d’Asie vont venir par vagues successives s’adonner à des représentations bucoliques et paysagères ayant recours à une technique qui juxtapose des touches de couleurs.

Avant 1870 arrivent des Pouilles les trois frères Francesco, Giuseppe et Filippo Palizzi. Ces italiens sont suivis à partir de 1870 par une première colonie américaine et britannique (dont : Francis B. Chadwick, William Coffin, Childe Hassam et John Singer Sargent).

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Francis Brooks Chadwick

Le pont de Grez-sur-Loing au printemps, 1887

A partir de 1880 ce sont des peintres scandinaves qui viennent peindre à Grez (dont : Carl Larsson,  Andres Zorn et l’écrivain suédois August Strinberg), avant l’arrivée en 1890 d’une vingtaine de peintres japonais (dont : Kuroda Seiki et Akume Keiichiro).

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Jelka Rosen

Le jardin à Grez, 1898

The Fenby Estate, Lincolnshire

 

C’est donc sur la base d’une prescription de pair à pair (d’artiste à artiste, de peintre à peintre) que se crée spontanément à Grez-sur-Loing une communauté d’artistes internationale et qui contribuera de façon tout à fait significative à la transmission d’un style et d’une technique. A la fois école du regard et école de peinture, Grez-sur-Loing à fourni à l’Impressionnisme le moyen de sa postérité au-delà de ce que pouvait proposer le marché encore embryonnaire de ce mouvement.

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Groupe de peintres au pied du vieux pont, dans les jardins de l’hôtel Chevillon vers 1870

Anthony Henley, René Bentz, Palizzi, R.A.M. Stevenson, Franck O’Meara, Ernest Parton, Willie Simpson.

La femme allongée sur les canots serait Fanny Osbourne

Grez-sur-Loing

1888 La Maison Jaune

Lorsque Vincent van Gogh arrive en Arles en février 1888, il a dans l’idée de fonder une colonie dans laquelle des peintres partageant des vues pourraient travailler, discuter et profiter de la vie. Vincent van Gogh en parle comme d’un Phalanstère, à la façon de l’Ecole de Pont-Aven (1850-1890).

 

Le vœu de Vincent van Gogh ne sera jamais exaucé, mais son énonciation témoigne de la popularité des projets communautaires à la fin du XIXème siècle.

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Vincent van Gogh

La Maison Jaune (la rue), 1888

Musée Van Gogh - Fondation Vincent van Gogh, Amsterdam

 

La popularité de ce type de projets témoigne de la vie “passionnément politique” qui fut celle des français sous la IIIème République (1870-1940). Cette époque est celle d’un régime parlementaire qui n’accorde qu’un rôle représentatif au chef de l’État et dont l’oeuvre demeure celle d’un “moment républicain” marqué par une forte identité démocratique, illustrée par l’adoption de lois portant sur l’instruction, la laïcité, les droits de grève, d’association et de réunion.

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Henri Jules Jean Geoffroy

L’Ecole Républicaine - En Classe, le travail des petits, 1889

la Maison Jaune

1889-1932 Worpswede

En 1889, un petit groupe de peintres se rassemble à Worpswede (au nord-est de Brême, en Basse-Saxe) pour former une communauté recherchant, loin des conventions de la peinture académique, un contact direct et authentique avec la nature et pour s’imprégner d'une esthétique nouvelle, inédite, avec pour source d’inspiration les Impressionnistes.

De son séjour à Worpswede durant l’été 1900, Rainer-Maria Rilke tirera un ouvrage éponyme (titré en français: Paysages-Worpswede).

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Hermine Rohte

Fritz Overbeck suivi des peintres de plein air du Worpswede, 1896

 

Heinrich Vogeler, peintre d’inspiration préraphaélite, est le premier à s’installer à Worpswede où il achète une ferme en 1895 nommée Barkenhoff dans laquelle il reçoit les peintres allemands qui lui paraissent susceptibles de partager ses vues naturalistes. Dans cette maison on est reçu, on y danse, on y parle d’art, on y présente ses oeuvres dans un havre paisible, auprès d’une société choisie, courtoise et cultivée

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Heinrich Vogeler

Soir d’été, 1905

Kulturstiftung der Lander, Schloss Charlottenburg, Berlin

 

Otto Modersohn, Paula Modersohn-Becker, Hans am Ende, Fritz Mackensen et Fritz Overbeck notamment vont fréquenter Worpswede et séjourner à Barkenhoff entre 1899 et 1932 et c’est Fritz Mackensen (étudiant auprès de Friedrich August von Kaulbach à l’Académie des Beaux-Arts de Munich en 1888) qui est considéré comme l’initiateur de la colonie.

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Fritz Mackensen

Environs de Worpswede, 1898

https://www.auktionshaus-stahl.de

 

Cette ferme de Barkenhoff (aujourd’hui Musée Heinrich Vogler) va devenir pendant une vingtaine d’années le foyer d’une colonie d’artistes qui, ayant fui l’industrialisation croissante des villes, vont mêler la recherche d’un paysagisme pur à des convictions socialistes, tout en soutenant des prises de position féministes.

La communauté du Worpswede est l’exemple d’une colonie d’artistes ouvertement politisée. C’est dans cette rude contrée du Nord de l’Allemagne que les artistes de Worpswede vont chercher entre leurs pratiques picturales et leurs convictions politiques l’accord, la continuité, les conditions propices à l’éclosion d’un art de vivre rural et simple.

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Fritz Mackensen

Femme à la fenêtre - Passé ensoleillé, 1900
 

Dans la lignée de l’Impressionnisme, les peintres du Worpswede ont d’abord porté toute leur attention sur le milieu naturel qui était le leur, fait de bruyères et de marécages, parfois traités avec un idéalisme mélancolique.

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Otto Modersohn

Cortège nuptial au printemps, 1905

collection privée

 

Puis, les convictions politiques y conduisant sans doute, les peintres de Worpswede ont élargi cette attention au laborieux travail des paysans locaux.

 

En 1900, ces artistes organisèrent un voyage pour se rendre à l'Exposition universelle de Paris, où ils étudièrent le paysagisme de Camille Corot, de Jean-François Millet et de Théodore Rousseau, membres de la colonie des artistes de Barbizon, qui leur servait de modèle.

Paula Modersohn, deuxième épouse d’Otto Modersohn, rapporte de son voyage en France la conviction qu’une femme peut se faire légitimement une place dans la peinture. Certainement influencée par Berthe Morisot et Mary Cassatt, Paula Modersohn exprime la nature en y intégrant la maternité et pousse l’audace jusqu’à se représenter nue et enceinte dans un autoportrait.

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Paula Modersohn-Becker

Autoportrait au sixième anniversaire de mariage, 1906

Paula Modersohn-Becker Museum, Brême

 

Peu après la mort prématurée en 1907 de Paula Modersohn-Becker, Gustav Pauli organisa une exposition de ses oeuvres à la Kunsthalle de Brême qui  fut la première exposition monographique consacrée à une femme artiste.

 

Deux générations de peintres se succèdent à Worpspede, jusqu’à l’avènement du Nazisme, et qui conduit à la scission du groupe en deux : d’une part ceux qui adhèrent aux thèses de l'extrême droite nationaliste et populaire (Völkish), c’est le cas de Fritz Mackensen et de Carl Emil Uphoff;  et ceux qui, d’autre part, se rangent du côté des communistes et qui doivent bientôt quitter l’Allemagne pour la Russie, à savoir Heinrich Vogeler et son gendre l’écrivain et journaliste Gustav Regler.

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Carl Emil Uphoff

Fille blonde avec une tresse

extrait de la série des Six têtes, 1917

 

La colonie de peintres de Worpswede laisse derrière elle le témoignage d’artistes engagés dans des démarches individuelles et antiacadémiques, capables de soutenir les attentions de peintres attentifs aux idées de leur époque. L’histoire de Worpswede est également celle de la construction de l’antagonisme idéologique qui va déchirer l’Europe au début du XXème siècle.

Worpswede

1901-1920 Gödöllö

Gödöllö est une ville de Hongrie qui abrite une résidence royale à partir du début du XVIIIème siècle.

 

La colonie d’artistes de Gödöllö, en Hongrie, assume le maillage de représentations identitaires, régionales et nationales, avec des formes issues des avant-gardes, mises au service d’un art national. 

Plastiquement, la colonie se situe dans le champ des arts et métiers (mobilier, tissage, vitraux, papier peints, reliure, peinture murale…). Le projet de la colonie consiste à repousser l’artificialité imputée à l’industrialisation en investissant dans des principes issus du mouvement Arts and Crafts de William Morris et John Ruskin pour produire des objets aussi beaux qu’ authentiques, et qui soient le fruit du travail d’artisans locaux.

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anonyme

Mariska Undi dans des vêtements de sa création, 1912

Gödöllői Városi Múzeum

 

Cet engagement suppose de puiser dans des formes vernaculaires pour en extraire des objets à fort coefficient de savoir-faire qui, relus à la lumière des Arts and Crafts, puissent être proposés à une clientèle urbaine et aisée à la recherche d’une identité nationale.

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Aladár Körösfői-Kriesch, vers 1910

 

Co-fondée par Sándor Nagy et Aladár Körösfői-Kriesch, la colonie entreprend un projet artistique fondé sur une utopie politique : celle d’un socialisme réformiste en actes : un art de vivre respectueux de la nature et attentif au bien-être des habitants. 

 

Aladár Körösfői-Kriesch, qui était probablement le directeur charismatique de la colonie, a été très influencé par les préraphaélites et singulièrement par John Ruskin à qui l’on doit en 1871 la guilde de Saint-Georges qui reposait sur trois principes : 

  • l’éducation artistique

  • l’encouragement de l’artisanat plutôt que la production de masse

  • l’investissement dans une agriculture durable

 

C’est chez Ruskin que Aladár Körösfői-Kriesch trouve l’idée que la société puisse trouver son salut dans une vie rurale, en harmonie avec la nature, et qui privilégierait le travail artisanal plutôt que celui mécanisé.

 

C’est sans doute le travail de la tapisserie qui a le mieux incarné les ambitions de la colonie : le développement d’un savoir-faire spécifique - un travail collectif, pour lequel il s’est agi de former des habitants de la communauté et une forte valeur décorative associée à une amélioration du confort domestique. C’est la combinaison de ces trois éléments qui a fait la réputation de l’école de tissage de Gödöllö et a permis d’y attirer les artistes du pays.

 

Aladar Körösfoi-Kriesch est convaincu que l’artiste à un rôle à jouer dans la réforme de la société, et croit fermement que le modèle sociétal en vigueur dans la colonie est susceptible à la fois de transformer la vie des communautés rurales de transylvanie qui l’entourent, mais également de participer à la constitution d’un nouvel artisanat local susceptible de dynamiser la culture nationale hongroise. L’ objectif de la colonie était d'unifier l'art et l'artisanat pour créer un art qui, se nourrissant du folklore, assumerait la production de formes destinées à la bourgeoisie.

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Nagy Sándor

Sainte anticipation (Szent várakozás), 1904

C’est à ses prises de position nationalistes que la colonie de Gödöllö a dû son soutien gouvernemental, soutien qui s’est exprimé par un certain nombre de commandes de décorations pour des édifices publics ou religieux. 

Cette protection lui a permis de se développer à la façon d’un Gesamtkunstwerk c'est-à-dire d’un lieu où il était possible d’harmoniser pleinement des aspirations philosophiques et politiques avec un mode de vie. C’est ainsi que les colons de Gödöllö ont progressivement adopté les vêtements réformés, le végétariannisme, les bains nus et le couchage en plein air, reproduisant, sous l’égide des arts et métiers et traditions populaires, l’essentiel des usages réformistes du début du XXème siècle.

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anonyme

Nagy Sandor et sa famille, vers 1905

 

La forme la plus aboutie qu’ait produite la colonie de Gödöllö est probablement celle du Népszálló, ce bâtiment imposant a été construit à Budapest en 1912 sur les plans de Lajos Schottis et Béla Eberling. Les peintures décoratives y sont l'œuvre de Mariska Undi.

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anonyme

Salle à manger du Népszálló, 1912

Lorsque la Première Guerre mondiale éclata, l’atelier d’art cessa de fonctionner et, après la mort de Körösfői en 1920, la colonie fut dissoute.

 

Les principes qui fondent la Colonie de Gödöllö, hors la question de l’agriculture durable,  font aujourd’hui largement penser à ceux prônés par Walter Gropius pour définir le programme du Bauhaus. La place qu’occupe la Colonie de Gödöllö dans ce récit permet de rappeler l’influence considérable, tant sur un plan plastique qu’idéologique, qui fut celle du mouvement des Arts en Crafts.

 

L’activité qui fut celle de la colonie de Gödöllö correspond au développement en Europe de l’instrumentalisation d’une appréciation nostalgique de l’artisanat vernaculaire (souvent requalifié en traditions) pour le mettre au service de la constitution d’une culture (voire: d’un récit) nationaliste.

Gödöllö

1919-1921 Simonskall

Entre 1919 et 1921, la Junkerhaus de Simonskall entre Cologne et Liège dans la région d’Eifel a été le foyer d'un groupe d'écrivains et d'artistes visuels qui se faisaient appeler la Kalletal Gemeinschaft

Le cercle restreint comprenait le couple d'écrivains Carl Oskar Jatho et Käthe Jatho-Zimmermann, le peintre et sculpteur Franz Wilhelm Seiwert, ainsi que le peintre et scénographe Franz Nitsche. . 

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Franz Wilhelm Seiwert

Portrait de Carl Oscar Jatho, 1917

 

Les artistes Angelika Hoerle et Heinrich Hoerle ainsi qu'Otto Freundlich ont rendu plusieurs visites au groupe et participé au noyau dur du groupe.

Cette communauté d’artistes s’est constituée sur les cendres de la première guerre mondiale, et sa position géographique l’a mise au premier plan des horreurs de celle-ci. 

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anonyme

Soldats britanniques de la 55ème division

aveuglés par des gaz toxiques, avril 1918
 

Fondamentalement anarchistes et pétris de socialisme révolutionnaire, les membres de la Kalletal Gemeinschaft ont surmonté le traumatisme de la première guerre mondiale par une adhésion complète aux idées révolutionnaires de l’époque, exprimées dans une activité éditoriale considérable, qui a placé cette communauté au carrefour des mouvements avant-gardistes de l’époque : Dada, Nouvelle Objectivité, Bauhaus et le Suprématisme.

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Marta Hegemann

publicité pour l’exposition Stupid, 1919

Rheinisches Bildarchiv Köln

 

L’idéal de Simonskall était celui du contre-modèle à une société de masse anonyme aliénée par la violence capitaliste. Ces élans étaient à la fois rétrospectifs et prospectifs et mêlaient les idées socialistes des premiers chrétiens, franciscains, avec des éléments pris dans la pensée nietzschéenne, chez les pacifistes et dans les propositions anarchistes. 

Il s'agissait d'un « hommage au christianisme » réalisé dans un « monde à surprendre » qui indiquerait le chemin « de la société à la communauté ». L'art ayant dans ce cheminement la fonction du « sacrement qui annonce le salut ». 

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Franz Wilhelm Seiwert

Tête du Christ, 1920

Rheinisches Bildarchiv, Cologne

 

Au sortir de la tragédie de la première guerre mondiale, les membres de la communauté pensent trouver ce salut en développant des pratiques sociales coopératives et progressistes trouvées chez Tolstoï et Kropotkine : 

 

La volonté humaine d’entraide a une origine si ancienne et est si profondément liée à tout le développement passé de la race humaine qu’elle a été préservée par la race humaine jusqu’à nos jours, malgré toutes les vicissitudes de l’histoire.

Piotr Kropotkine, L'entraide dans le monde animal et humain, 1902

 

La pensée de Kropotkine est transmise notamment par Gustav Landauer, Erich Mühsam et Martin Buber, qui ont été les co-fondateurs de la Ligue Socialiste en 1908, qui avait pour projet de contrecarrer le déclenchement de la première guerre mondiale. 

Landauer et Müsham participeront activement à la révolution de novembre 1918 à Munich et participeront à la République des Conseils de Bavière jusqu’en mai 1919, date à laquelle l’armée reprend le contrôle de la ville, et qui verra Gustav Landauer battu à mort par des soldats des corps francs, son cadavre laissé pourrir en place durant plusieurs jours. Erich Mühsam connaîtra un destin tout aussi tragique à l’avènement du nazisme en 1933.

 

La communauté ne veut rien d’autre que de prendre au sérieux les paroles généralement connues, enseignées dans toutes les écoles, prêchées dans toutes les chaires : elle veut que la matière des paroles devienne matière des actes. Elle veut vivre ce qu’elle a appris. […] La communauté [est] la volonté de vaincre la société. […] Donc c’est non seulement possible, mais effectivement réel […]. La véritable communauté est l’humanité avant de devenir humanité. […] Là où commence la communauté, commence l’humanité. Le début de la communauté est le début de l’humanité.

Carl Oskar Jatho, Sur la nature de la communauté, dans : Der Strom, numéro 1, 1919

 

Malgré des conditions très rudes sur le plan matériel, l'appartement du couple Carl Oskar Jatho et Käthe Jatho-Zimmermann à Cologne va devenir à partir de 1916 le point central de la scène artistique locale: le couple organise des conférences et des expositions qui attirent des artistes, des galeristes et des éditeurs de la région de Cologne.

 

Ce que nous voulions n’était pas du tout clair […] nous avions froid, nous avions faim, nous faisions la fête, mais surtout, nous cherchions. Et cette recherche était incroyablement vivifiante […]. Vous ne pouvez pas imaginer notre pauvreté à l’époque, ni notre richesse.

Marta Hegemann, Souvenirs, 1965

Simonskall

1919-1921 Simonskall / Jeune Rhénanie

La Jeune Rhénanie (Junge Rheinland) de Düsseldorf était probablement l'association d'artistes et d'amateurs d'art moderne la plus active d'Allemagne de l'Ouest, elle a compté jusqu’à près de 400 membres au milieu des années vingt.

Cette association artistiquement, socialement et économiquement assez hétérogène comprenait les artistes Heinrich Nauen, Otto Dix, Max Ernst, Otto Pankok, Gert Wollheim et Arthur Kaufmann ainsi que le galeriste Alfred Flechtheim et les industriels Franz Haniel, Karl Ernst Osthaus et le collectionneur Edwin Suermondt. Outre Flechtheim, qui avait de bons contacts à Paris, notamment avec le marchand d'art Daniel-Henry Kahnweiler, les œuvres du groupe étaient également vendues par Johanna Ey (appelée Mère Ey) et sa galerie.

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Junkerhaus à Simonskall

photographie contemporaine

 

Il s’agit de créer un lieu de silence et de concentration, un foyer spirituel,  un sanctuaire en somme, qui maintienne actifs les liens créés avec les acteurs de la vie culturelle rencontrés à Cologne. 

Franz Wilhelm Seiwert sera le premier à les rejoindre, bientôt suivi par Otto Freundlich, Angelika et Heinrich Hoerle.

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Otto Freundlich

Autoportrait, 1918

Rheinisches Bildarchiv, Cologne

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Heinrich Hoerle

Tête de femme (Angelika Hoerle), 1921

Musée Ludwig, Cologne, fonds du Rheinisches Bildarchiv

On ne pouvait arriver qu’à pied à Simonskall, et cet isolement a permis de protéger un certain nombre d’artistes ouvertement révolutionnaires, dont l’écrivain Ret Marut.

Ret Marut, B. Traven, Hal Croves et Traven Torsvan sont les pseudonymes utilisés par un écrivain et scénariste de langue allemande dont les noms, date et lieu de naissance sont inconnus. Pour cet auteur (dont : Le Trésor de la Sierra Madre) l’oeuvre prévalait sur son identité.

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Franz Wilhelm Seiwert

Portrait de Ret Marut, 1919

Rheinisches Bildarchiv, Cologne

 

C’est dans l’environnement tout à fait isolé de Simonskall que s’installe la colonie en 1919, avec pour première initiative la construction de l’imprimerie qui allait devenir l’outil de fabrication des publications qui a fait connaître la communauté et l’a rendue particulièrement attractive auprès de l’ensemble des artistes progressistes allemands de l’époque. 
 

Tous se décident pour l’appellation de Kalletal Gemeinschaft, qui fait référence au lieu bien sûr, mais également à l’image de soi comme appartenant à une communauté qui se situe au-delà des structures institutionnelles, reprenant les propositions que Martin Buber disait percevoir dans son époque: 

 

Un grand désir de communauté traverse toutes les âmes des personnes émouvantes à ce moment de la vie dans la culture occidentale. […] Ce qui est important, c'est la libération de la vie réelle entre les gens. Il s'agit de la renaissance de la communauté. […] De nouvelles coutumes ne peuvent pas se développer dans la société, seulement parmi les camarades ; une nouvelle foi ne peut s’épanouir que dans l’Église, seulement dans les confréries.

Martin Buber, Communauté, dans : Neue Erde, numéro 1, 1919

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Franz Wilhelm Seiwert

Nous Trois (Franz Wilhelm Seiwert, Ret Marut, Irene Mermet), 1919

Rheinisches Bildarchiv, Cologne

 

L’installation de la Katallpresse a permis aux artistes de la communauté de produire leurs propres oeuvres, graphiques ou littéraires, de façon tout à fait indépendantes et libre de toute censure. 

Ces publications étant assorties de conférences, la communauté de Simonskall est rapidement devenue un foyer d’artistes activistes socialistes dans la région de Cologne et avec un rayonnement dans toute l’Allemagne et jusqu’en Suisse. 

Cette activité éditoriale ouverte à l’échange avec d’autres communautés d’artistes a fait des publications de Katallpressee les pages d’un débat parfois houleux, entre les tenants dadaïstes d’un art révolutionnaire destructeur de la bourgeoisie et les défenseurs d’une activité artistique plus pragmatique et inspirée par un socialisme chrétien.

Franz Wilhelm Seiwert exprime très clairement cette confrontation : 

 

Nous voulons faire un travail simple, au-delà de toute spiritualité bavarde. […] Nos images sont au service des exploités, auxquels nous appartenons et avec qui nous nous sentons solidaires. C'est pourquoi nous rejetons l'arlequinade dadaïste et anti-bourgeoise prétendument menée pour le plaisir des citoyens, car nous n'avons pas à rendre visible la faillite de la bourgeoisie, mais plutôt la volonté créatrice des masses.

Franz Wilhelm Seiwert, lettre à Pol Michels, 1919

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Franz Wilhelm Seiwert

L’Homme au chapeau à côté des usines, 1921

Musée Ludwig, fonds du Rheinisches Bildarchiv, Cologne

 

Au début des années vingt, Franz Wilhelm Seiwert retourne à Cologne et fonde avec Heinrich Hoerle, August Sander, Otto Freundlich et Gerd Arntz le Groupe d’Artistes Progressistes. qui sera dissous à la fin de la République de Weimar. 

La peinture de Seiwert prend un tour explicitement influencé par De Stijl et le Suprématisme et se met au service du socialisme. Seiwert quitte donc la communauté de Simonskall pour s’engager davantage dans une forme artistique susceptible engagée et de contribuer à la réorganisation de la société et du monde.

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Franz Wilhelm Seiwert

Révolution, 1923

Musée Ludwig, fonds du Rheinisches Bildarchiv, Cologne
 

Pris dans des disputes incessantes des tendances progressistes toutes très engagées de l’époque, la capacité de ces mouvements à soutenir une transformation radicale de la société s’épuise et tous se dissolvent ou migrent à partir de 1921, laissant l’Allemagne en proie à des agitations sociales et contre-révolutionnaires souvent violentes, dans le contexte d’une hyperinflation naissante qui balaiera toute tentative progressiste et fera le lit du national-socialisme. 

Les artistes progressiste ou révolutionnaires seront largement instrumentalisés par le régime nazi dans le cadre de son opération de régénérescence des formes artistiques, et c’est la sculpture d’Otto Freundlich La Grosse Tête qui servira de couverture au catalogue de l’exposition d’Art Dégénéré organisée par les Nazis à Berlin, Düsseldorf, Hambourg et Salzburg.

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couverture du guide de l’exposition Entartete Kunst, 1937

 

La colonie de Simonskall aura été le témoin de la très difficile période qui fut celle suivant la première guerre mondiale sur un plan social et économique, et particulièrement riche et déterminée du point de vue de la modernité et des avant-gardes. Simonskall montre à l’envi la complexité que représente l’engagement des artistes dans le champ du politique.

Simonskall a montré la facilité avec laquelle les idées progressistes et avant-gardistes pouvaient traverser les frontières et être mises en œuvre localement au service de l’émancipation et de l'épanouissement des peuples et avec le monde pour horizon.

Arthur Kaufmann

Mère Ey et le groupe de la Jeune Rhénanie, 1924

peinture à l’huile sur toile

 

En 1918, la maison du photographe Erwin Quedenfeldt à Düsseldorf est devenue elle aussi un lieu de conférences et d'expositions pour des artistes et écrivains tels que Gert Wollheim, Otto Pankok et Adolf Uzarski, qui se sont réunis en 1919 pour former la communauté d'artistes de gauche Aktivbund et coopèreront avec le Junge Rheinland. L’Aktivbund s’inscrira dans l'anarcho-syndicalisme, particulièrement fort en Rhénanie, et dans l'anarcho-pacifisme de Gustav Landauer.

 

C’est également à Cologne qu’est fondée en 1918 la Société des Arts par l’éditeur Karl Rinderdorf avec pour objectif la rédaction d’un programme qui conjugue l’art et la politique de façon radicale. Cette société affirme vouloir redonner à l'art son pouvoir socio-éthique et à la communauté humaine ses droits à l'art en tant qu'expression visible de la volonté du peuple. Le rôle de la Société des Arts est de connecter tous ceux qui souhaitent créer de l'art pour qu'ils travaillent ensemble à la mise en œuvre d'un programme artistique et politique radical, dont les objectifs sont : une communauté vivante de pouvoir artistique avec le peuple ; et la liberté artistique totale des créateurs.

Ce sont toutes ces initiatives, soutenues à chaque fois par la publication de périodiques (Der Ziegelbrenner, Die Aktion, Der Flux, Der Ventilator… et les maisons de publication Der Storm et Kaïros) qui conduisent le journaliste Alfons Paquet à parler avec un certain lyrisme du ‘Rhin comme Destin”, réaffirmant l’importance de ce symbole dont le rayonnement s’était dissipé après l’apogée du Romantisme Rhénan de Novalis au XVIIIème siècle.
 

Carl Oskar Jatho et Käthe Jatho-Zimmermann, influencés par les écrits de Tolstoï, décident de quitter la ville en 1919 et de se retirer dans la maison des Junkers à Simonskall pour y trouver une paix propice à la créativité et y fonder une communauté à partir des liens tissés à Cologne. 

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