top of page

Décrocheurs - Aussteiger - Dropouts

artistes, anarchistes, proto-écologistes, vagabonds et hippies

un récit possible du XXème

Partie III : Karl Wilhelm Diefenbach (1851-1913) : un art total

(temps de lecture : 46 minutes - 65 illustrations)

  • Instagram
1913 Karl Wilhelm Diefenbach.jpg

 

Karl Wilhelm Diefenbach en 1913

1875-1880
1881-1884

Né en 1851 à Hadamar dans le duché de Nassau, Karl Wilhelm Diefenbach était le fils du peintre et illustrateur Leonhard Diefenbach. 

 

C’est de son père que le jeune Karl Wilhelm a reçu sa première formation artistique, avant de partir étudier à l' Académie des Beaux-Arts de Munich où il s’est frotté au Naturalisme prôné par Carl von Piloty. Diefenbach s’y révèle un peintre habile et original qui oriente bientôt son registre pictural vers des représentations fantastiques. Personnage charismatique, Diefenbach à très tôt travaillé comme photographe et su mettre cette technique au service de sa propre historiographie.

Personnalité complexe, à la fois réformiste et dogmatique, Karl Wilhelm Diefenbach va devenir un artiste à la fois renommé et marginal, doublé d’un prédicateur du Lebensreform adulé et caricaturé. Diefenbach va être l’incarnation aboutie d’une mise en oeuvre holistique du Lebensreform.

Karl Wilhelm Diefenbach va créer des colonies qui verront l’émergence de deux figures antagonistes du Lebensreform : Fidus (Hugo Höppner) et Gusto (Gustav) Gräser.

1875-1880

La carrière de Diefenbach commence par un travail alimentaire de photographe. Le nouveau médium n’en est qu’au début de sa popularité et réclame des connaissances assez sophistiquées pour être employé correctement. La demande de portraits est assez importante et c’est le premier gagne-pain de Diefenbach. Il faut donc garder à l’esprit que Diefenbach a parfaitement compris la puissance de ce média à constituer de la notoriété. Diefenbach fera tout au long de sa vie quantité de photos qui le mettent en scène, quantité de photos de propagande au service des communautés successives qui seront ses créations. C’est ce qui explique l’importance de l’iconographie le concernant disponible aujourd”hui.

 

 Âgé de 24 ans en 1875, Karl a reçu des mains de l’Empereur François-Joseph d’Autriche la médaille d’or de l’Art et de la science, et occupe la position enviable de peintre au service du duc Adolphe de Nassau. Il est installé au château de Hohenburg et y trouve le loisir de préparer les esquisses de l’immense peinture murale à laquelle il songe sans cesse et qu’il nomme la Musique pour Enfants. Dans l’esprit de Karl, les enfants sont l’homme à l’état naturel, pur, l’état d’avant l’éducation, la culture et la soumission aux dogmes, l’homme d’avant le péché. Diefenbach produit donc à cette époque quantité de manuels destinés aux enfants.

Karl est très attaché aux enfants, d’inspiration symboliste, il prend les enfants pour des anges et rêve de l’armée d’anges qui viendra, il en est certain, sauver le monde, armée qu’il est évidemment le seul à voir, et dont il prêche obstinément l’arrivée.

Karl Wilhelm Diefenbach, ca. 1875

 

En 1876, Karl est atteint de typhoïde. Dénutrition, déshydratation et fièvres intenses provoquent chez lui des hallucinations, des illuminations. Sa maladie se dégrade et provoque un ulcère à l'aisselle dont l’opération provoque la paralysie de son bras droit. Il est alors hospitalisé pour vingt semaines. 

La détresse causée par ces souffrances renforcent Diefenbach dans une idée favorable à la naturopathie, et il devient un lecteur assidu des thèses les plus récentes (Eduard Balzer et Arnold Rikli). Dans l’espoir d’une rémission, Diefenbach renonce au tabac, à l’alcool et à la viande et sa nouvelle diète (un régime à base de raisin) apporte bientôt de nettes améliorations à son état de santé. 

C’est ainsi que Diefenbach va dans un premier temps se faire l’apôtre des médecines naturelles, avant d’en faire un mode de vie naturel, puis de défendre l’union libre, ce qui lui vaudra l’exclusion par sa famille.

 

En 1878, Diefenbach rencontre Maximiliane Schlotthauer, dite Maja, avec qui il conclut le pacte d’un partenariat à vie, qui mêlerait leurs vies sentimentales et leurs activités artistiques. 

La même année, à l’occasion d’un séjour dans une cure d’hydrothérapie à Gastein, près de Salzbourg, il rencontre Madeleine Atzinger, qui devient sa maîtresse. Diefenbach s’installe alors à Munich avec les deux femmes, sans en vouloir épouser aucune. C’est là qu’il reprend contact avec l’Académie des Beaux-Arts.

 

La cohabitation des deux femmes n’est probablement pas des plus faciles, puisque Maximiliane le quittera l’année suivante, durant un nouveau séjour de Diefenbach à l'hôpital, qui donne à partir de 1880 des signes évidents d’hypocondrie. Le ressenti de Maximiliane est sans doute important puisqu’elle va entretenir avec Diefenbach une correspondance nourrie et toujours plus agressive.

Karl Wilhelm Diefenbach (1851-1913)

Portrait de Jeune Femme (Maximiliane Schottlauer), 1880
 

Malgré des relations de couple houleuses, le 3 décembre 1880 verra la naissance de Kurt Helios Diefenbach (1880-1950). Pour Karl, cette naissance est une trahison de la part de Madeleine. Il n’a pas désiré l’enfant, et voit cette naissance comme une entrave à son développement personnel. Ces craintes ne vont faire qu’envenimer les relations du couple qui vont devenir de plus en plus conflictuelles et violentes. 

Nouveau séjour dans un sanatorium, cette fois il s’agit de celui du Dr. Hacker à Neuhausen, à qui il confie sa détresse à l’idée de devenir le père d’un enfant infirme, puisqu’ issu de parents malades (Madeleine souffre de phtisie pulmonaire). Le Dr. Hacker va le conforter dans l’idée que l’enfant devrait mourir dans un laps de temps très court.

 

Le couple vit à l’époque des leçons de piano et de langues que donne Madeleine, ce qui oblige Karl à s’occuper de l’enfant, dont il fera le très jeune cobaye de la naturopathie. 

Helios survit, et se développe, ce qu’écrira Diefenbach à Arnold Rikli :

j'ai moi-même pris soin du pauvre ver... J'ai réussi ce que personne n'aurait cru, j'ai sauvé l'enfant!

 

Les soins attentifs apportés par Karl ne sont cependant pas du goût de la police de Munich qui convoque Diefenbach au motif de mauvais traitements sur un enfant, ce dernier ayant suspendu son fils dans un filet dans l’embrasure d’une fenêtre pour l’exposer à un bain d’air et de lumière. C’est le développement suffisamment vigoureux d’Helios qui verra la plainte classée sans suite. 

Helios va cependant se révéler un enfant puis un adolescent au tempérament difficile, en conflit perpétuel avec son père. Mais il n’empêche : Karl ressort de cette expérience avec des doutes consolidés sur la vie de couple et une foi raffermie à l’endroit des capacités de la médecine naturelle et du mode de vie naturel.

1881-1884

Karl Wilhelm Diefenbach (1851-1913)

Jeune Violoniste sur une Fleur, 1881

 

Diefenbach va entretenir une correspondance nourrie avec Eduard Baltzer et Arnold Rikli, et développer des contacts avec des Religieux Libres et des membres du Mouvement Végétarien, ce qui raffermit ses convictions et l’amène à consolider l’élargissement de la naturopathie à un mode de vie.

C’est le végétariannisme qui sera le premier pallier de cet élargissement, qui conduira Diefenbach à déclarer (dans les pas de Tolstoi) :

le meurtre des humains n'est que la conséquence naturelle du meurtre des animaux. Manger de la viande produit des passions incontrôlables, une richesse individuelle, une misère collective et une brutalité générale, et ne diffère du cannibalisme que par son degré.

La deuxième étape concerne la religion. Diefenbach quitte l'Église qu’il dit être une institution de Satan et devient membre du Mouvement Religieux Libre, dont le développement est encore pour quelques années favorisé par l’Empire Allemand au motif de la préservation de l’unité nationale sous le nom de Kulturkampf.

 

Le Mouvement Religieux Libre propose une vision religieuse non uniforme du monde qui renonce aux enseignements confessionnels, aux dogmes et aux superstitions. Leurs positions sont considérées comme libérales, libres-penseuses et laïques, et parfois aussi naturalistes, agnostiques et athées.

 

Les idées végétariennes commencèrent à être diffusées dans toute l’Allemagne et en Autriche après la révolution de 1848, qui vit des révolutionnaires déçus (dont : Gustav Strurve dans le Bade-Wurtenberg) ayant survécu aux incarcérations ou qui ne s’étaient pas exilés, tenter, devant l’échec politique du mouvement, de changer la société par les voies de la Réforme. L’idée de la Réforme de Gustav Sturve vise à changer la société non pas en changeant les institutions mais en changeant les citoyens.

 

Les idées naturalistes et le folklore affiché par les adeptes du Lebensreform sont tout à fait visibles dans la société allemande de cette fin du XIXème siècle, et singulièrement entre l’Autriche et la Bavière. 

Ainsi, Diefenbach  pouvait traverser Munich pieds nus, simplement couvert de sa robe de réformiste en laine, affichant son opposition à la peste vestimentaire qui contraint les corps, entrave les individus et fait obstacle à la bonne santé. 

 

Empruntant sa tenue aux principes vestimentaires hygiénistes définis par Gustav Jager à la même époque (die Normalkleidung als Gesundheitsschutz - l’habillement normal de protection sanitaire), faite de laine brute et sans aucune fibre végétale, Diefenbach se donne alors des airs de Christ que ses détracteurs tournent en dérision en le surnommant Kohlrabi-Apostel,  l’apôtre du chou-rave.

annonce pour les vêtements en laine de Gustav Jager

Berliner Tageblatt du 31 janvier 1886

 

Lors de la soirée des fous (Narrenabend), l’un des moments forts du carnaval du Vienne, les membres de la Männergesangerein de 1881 se déguisaient en végétariens à la fin du XIXe siècle,  déambulant dans des tuniques amples et des rameaux de cerisiers dans les cheveux pour les singer. Il s’agissait de tourner en dérision les végétariens en imitant leur costume, de pointer du doigt leur mode de vie.

Mais le fait de prendre les végétariens dès la fin du XIXe siècle comme source de plaisanterie est un indice qui souligne la portée des thèses végétariennes à l’époque.

Theodor Zasche (1862-1922)

Suggestions pour la Soirée des Fous, 1881

Wien Museum

 

Le 28 janvier 1882 Diefenbach épouse Madeleine Atzinger, avec qui il a déjà eu un fils (Helios). Le couple aura deux autres enfants (Stella, née le 2 septembre 1882 et Lucidus le 8 octobre 1886).

Karl Wilhelm Diefenbach en 1882

 

 

Sonnen-Aufgang

Délaissant son épouse durant leur nuit de noces, le matin du 28 janvier 1882, Diefenbach part gravir à pieds le Hohen Peissenberg en haute Bavière (30km au sud-ouest de Munich) et voit poindre dans le « lever du soleil » de son âme sa transformation et sa vocation à devenir un prophète de la réforme.

Cette expérience lui inspire l’ode Sonnen-Aufgang (le lever du soleil), un credo littéraire de la religion naturelle dans lequel il appelle l’homme à se connaître lui-même :

Dieu est en toi, Humanité, reconnais ta mère, la Nature !

 

Diefenbach va se faire le prophète de cet appel, et fonder sa légitimité sur l’application à lui-même et à ses proches des termes de cette prophétie. Il doit en effet être capable de démontrer l’efficacité de l’expérience d’éveil à laquelle il invite pour qu’elle puisse être socialement acceptable et reconnue.

C'est ainsi que Diefenbach s'est mis en scène au début de son œuvre publique - à l'imitation de Jésus avec son jeûne de 40 jours dans le désert. À la fin de son épreuve de solitude, il se sent illuminé par les rayons de révélation du soleil et chargé par la nature divine de libérer l'humanité de Dieu. La montagne avait également une signification prophétique en tant que lieu de révélation. Diefenbach descend du Hohen-Peissenberg en habit de prophète, pieds nus, et porteur d’un message. Tout l’arsenal de la révélation mystique est convoqué : depuis l’urgence à abandonner son épouse la nuit de noces jusqu’à la révélation d’une lumière divine dans sa vision du lever du soleil sur la plaine encore endormie. Cette expérience, et sa révélation, qui permettent à Diefenbach d’instaurer avec son entourage des rapports de maître à disciple, repose sur des prises de position qui l’engagent à mettre en pratique un socialisme religieux fondé sur l’harmonie avec la nature. Ses idéaux incluent une croyance en Dieu mais un rejet total de toute religion traditionnelle, une ouverture à la théosophie, à la vie et à l’exercice au grand air, au nudisme (le Freikorper - la culture du corps libre), un rejet de la monogamie, un strict régime végétarien, et l’affirmation que tout être était une émanation de la divinité et lui-même sans doute un peu plus que tous les autres. 

 

Diefenbach, cheveux longs, barbe et robe de laine crue, va donc prêcher sa version du Lebensreform dans les rues de Munich, et probablement devenir une figure folklorique dans une ville qui se prépare aux avant-gardes. A partir de 1883, il donnera dans cette ville des conférences titrées Sur les sources de la misère humaine portant sur les moyens de vivre en harmonie avec la nature, et qui seront bien sûr très controversées. 

Karl Wilhelm Diefenbach (1851-1913)

Helios en costume de randonnée, 1883

peinture à l’huile sur toile, 74 x 38 cm

 

Diefenbach s’installe à Thalkirchen, une petite commune voisine de Munich en 1884. Il y gère péniblement de très difficiles relations avec son épouse. Mais les premiers effets de sa notoriété de prédicateur apparaissent et des traces ont été conservées de la sollicitation qu’il reçoit d’un étudiant en médecine : Otto Driessen.

Karl Wilhelm Diefenbach et Otto Driessen en 1884

 

L’occasion de faire pour la postérité une belle photographie est donc saisie sur-le-champ.

 

Suit un nouveau candidat : Georg Sinner, 31 ans, qui écrit à Diefenbach : 

J'ai l'intention d'essayer un mode de vie naturel et j'aimerais obtenir des conseils de votre part au préalable, Peut-être auriez-vous la gentillesse de me fixer une heure pour vous parler.

Sinner était le descendant d'une riche dynastie de brasseurs de bière de Karlsruhe et une candidature comme celle-là ne se refuse pas. 

Quand bien-même Diefenbach a été un peintre populaire et susceptible d’avoir connu quelques succès, aucune de ses entreprises n’a pu se faire sans l’aide de mécènes fortunés. Sinner a été peut-être le premier de ces mécènes.

1885-1889

Karl Wilhelm Diefenbach et Helios en 1885

 

Diefenbach donne des sermons hebdomadaires du dimanche à Munich sur des thèmes de réforme de la vie qui reçurent une grande attention. Pour en rajouter au folklore de ses apparitions, Diefenbach fait le tour de la région sur un tricycle. Il apprécie le rôle du prophète le plus célèbre de la vie végétarienne, de la réforme vestimentaire et de la culture naturiste.

Plutôt fier de sa notoriété, Diefenbach ajoute à non prêche une nouvelle ligne contestataire qu’il exprime avec un brin de provocation probablement dù à une assurance nouvelle : c’est devant la brasserie Hofbräuhaus am Platz (que l’on trouve encore dans le centre historique de Munich) qu’il déclame une harangue protestataire contre le meurtre d’animaux sans lequel les saucisses blanches et les jarrets de porc qui font la fortune de l’établissement ne pourraient exister.

Philip Alexius de Laszlo

Im Münchener Hofbräuhaus, 1892

Hungarian National Gallery

 

Dans ses conférences, Diefenbach avance des principes se prévalant d’une morale exemplaire : condamnant la consommation de cadavres d’animaux et les boissons alcoolisées, mais faisant également état de certains paradoxes, en particulier en plaidant à la fois contre l’impudicité et la convoitise charnelle grossière et en faveur des droits des enfants illégitimes. Et à cela il ajoute une nouvelle ligne en s’opposant aux vaccinations.

 

En 1885 Louis Pasteur parvient à isoler la souche de l’agent contagieux responsable de la prolifération de l’épidémie de rage. Très vite, les médecins d’Allemagne se sont emparés du procédé pour contenir les ravages dus à la prolifération de maladies bactériennes et de vastes campagnes de vaccination sont organisées dans tout le pays. Apôtre des médecines douces et naturelles, défiant toute idée d’intrusion mécanique ou chimique à l’intérieur des corps adeptes du naturalisme, Diefenbach va s’opposer aux campagnes de vaccination et raffermir l’hostilité des autorités locales à son endroit. 

 

Ce qu'il fait est suivi favorablement par la presse locale, sans doute déjà avide de sensationnalisme, ce qui bien sûr contribue à renforcer sa notoriété. 

 

Le 16 juin 1885, on trouve dans les pages de Die Gesellschaft : 

Quelle personne intempestive ! Pensez-y : il vit au pays de la bière la plus célèbre et il ne boit que de l'eau fraîche ; il vit dans la ville des jarrets de veau éternels et des rôtis les plus juteux - et il se contente du régime végétal du végétarien le plus strict ; Il vit dans la ville d'art, où les photos de mode les plus colorées parcourent les rues - et il s'habille avec un simple habit en laine.

Munich est une belle ville. Pour preuve les originaux que l’on y trouve :

Wurtensepp et Diefenbach sont de ceux-là.

 

Mais cette notoriété n’est pas du goût des autorités, qui interpellent Diefenbach à la moindre provocation, et sa tenue vestimentaire peut suffire à fonder une accusation de trouble à l’ordre public. Diefenbach va donc être l’objet de convocations répétées devant les tribunaux, convocations auxquelles il se rendra moribond : Diefenbach ne vivant que de fruits, de pain et de lait concentré développe des carences nutritionnelles et aura bientôt besoin de béquilles pour pouvoir se déplacer. 

Höllriegelskreuth

 

Après que la police eut supprimé ses réunions et interdit ses prêches, Diefenbach ouvrit le 10 juillet 1885 la communauté Humanitas dans une carrière abandonnée près de Höllriegelskreuth (banlieue sud de Munich, dans la vallée de l'Isar). Le site doit son nom au sculpteur sur pierre Franz Höllriegel, qui en fut le dernier occupant et dont Diefenbach loue la maison. La communauté se compose de la famille de Diefenbach et de quelques adeptes, et vivait selon les enseignements d'Eduard Baltzer dans un Atelier de religion, d'art et de science, engagée dans une vie végétarienne et non-violente. 

Devant la maison Diefenbach érige un grand drapeau blanc, symbole de paix, de pureté et d’amour.

Diefenbach à Höllriegelskreuth, 1885

 

Johannes Friedrich Guttzeit

Le 17 septembre 1885, Johannes Guttzeit arrive à Höllriegelskreuth et endosse le costume de disciple de Diefenbach dont il sera le secrétaire et tiendra le journal de Humanitas. C’est un acte de soumission de la part de Guttzeit, un acte de soumission consciente de la part d’un homme réputé prudent et modéré, ayant renoncé à tout titre et qui appelait chacun frère ou soeur, et qui pousse le végétariannisme jusqu’au végétalisme, ayant renoncé jusqu’au lait, qualifié de jus de vache.

 

Johannes Friedrich Guttzeit fait parler de lui depuis 1883, notamment à Berlin comme un prédicateur itinérant aux cheveux flottants et à la barbe fournie. La publication de son livre l’Eglise de la Nature trouve immédiatement un écho favorable chez Diefenbach.

 

Johannes Friedrich Guttzeit fonde en 1884 la Ligue Pythagoricienne, rebaptisée plus tard Fraternité. 

En tant que rédacteur en chef du magazine fédéral Der Bruder - Magazine de la Fédération pour la Pleine Humanité, Guttzeit propageait un mode de vie alternatif, prônait les droits naturels , l'égalité des droits entre les femmes et les hommes et la reconnaissance des homosexuels et critiquait la glorification de la noblesse, de l'armée et de la guerre. Guttzeit prêche en compagnie de disciples qui parcourent le pays pieds nus, un bandeau de cuivre leur enserrant la tête, robe réformiste et bâton de marche à la main ils parcouraient le pays tels des vagabonds et frappaient aux portes pour apporter aux habitants le message de l’étoile de la terre et les principes réformistes.

Johannes Friedrich Guttzeit ca 1878

 

En tant que combattant solitaire, Guttzeit a visé, avec une ampleur impressionnante et sans aucune haine, quantité d’archaïsmes de l'époque : l'oppression et les mauvais traitements des femmes, des enfants, des soldats, des homosexuels, l'immoralité des vêtements et du régime alimentaire, l'autorité des militaires, de la noblesse, l’exaltation de la guerre et la religion du sang et du fer de l'Ancien Testament . C’est sur ces préceptes que Guttzeit va devenir une personnalité à l’influence grandissante, en particulier auprès de Gustav Nagel et de Gusto Graser, dont il sera question plus loin.

 

Le secrétariat et les capacités rédactionnelles de Guttzeit ne suffisent pas à Diefenbach, qui prend probablement ombrage de l’aura grandissante de ce serviteur de ses œuvres dans la communauté dont il entend rester le maître. Diefenbach congédie donc Guttzeit le 24 décembre 1855, trois mois seulement après son admission. Il sera remplacé par Maja Schlotthauer, qui devient à la fois secrétaire et maîtresse du Maître de l’Höllriegelskreuth.

Diefenbach, sa famille et ses disciples à Höllriegelskreuth, 1885

 

Cette communauté, présentée comme naturiste, est rapidement vue comme une menace pour l’ordre public.

Quiconque prônait une réforme de la vie au XIXe siècle devait s'attendre à être réprimée par les autorités. Les raisons pouvaient être la transmission de connaissances naturopathiques (une violation de la loi contre le charlatanisme), la promotion de réformes économiques (si celles-ci étaient soupçonnées d'être socialistes) ou divers paragraphes visant à préserver l'ordre public et la moralité. C’est ainsi que le naturisme pratiqué par la communauté (enfants inclus) a pu faire l’objet de quantité de convocations au tribunal, parfois suivies de condamnations pour attentat à la pudeur.

 

8 octobre 1886 : naissance de Lucidus,  troisième enfant de Karl Wilhelm Diefenbach.

Karl Wilhelm Diefenbach et Helios au lac de Starnberg en 1886

 

 

Fidus

Au printemps 1887, Hugo Höppner, originaire de Lübeck, est admis à l'Académie des Beaux-Arts de Munich. C'est là qu'il apprend l'existence de Karl Diefenbach et de sa communauté qui vivent à Höllriegelskreuth qu’il rejoint le 17 juin. 

Karl Wilhelm Diefenbach et Hugo Höppner (Fidus) à Höllriegelskreuth en 1887

 

Höppner devient rapidement le jeune disciple protégé de Diefenbach, qui lui reconnaît de très utiles capacités de peintre, et lui attribue le nom de Fidus, qu’il gardera toute sa vie. Peinture qu’ils pratiqueront ensemble et parfois nus, ce qui leur vaudra une condamnation.

Fidus travaille à un tableau sous la direction de Diefenbach, 1887

 

Fidus devient l’indispensable assistant de Diefenbach, qui souffre toujours de la paralysie de son bras droit, et ensemble ils réalisent un cycle de 24 immenses peintures titrées Per aspera ad astra, et qui demeurera l'œuvre majeure de Diefenbach. 

 

Pour assurer la tranquillité des artistes, Clemens Driessen, le frère d’Otto, se charge d’emmener Madeleine Etzinger, avec qui les relations sont particulièrement houleuses, et ses enfants loin de Höllriegelskreuth, à à Lichtenau, jusqu’à ce que soit prononcé le divorce réclamé par Diefenbach.

 

Per aspera ad astra

détail des peintures  co-réalisées par Fidus et Diefenbach en 1887

 

Cet ensemble de peintures sera montré à Munich, dans une salle de la Theatinerstrasse et rencontrera un succès mesuré, plus public que marchand : aucune des toiles n’est vendue mais les droits d’entrée ont permis à Diefenbach de percevoir près de 3 000 marks-or. Diefenbach attire un public important sur son nom, au motif de ses prêches souvent provocants à l’endroit de la bourgeoisie carnivore de Munich, et du mode de vie sulfureux que l’on attribue à la communauté qu’il dirige.

Diefenbach en famille à Höllriegelskreuth, 1887

 

En 1888, nouveaux démêlés de Diefenbach avec la justice. Les minutes du jugement et les mémoires de Diefenbach permettent d’enrichir le récit. Diefenbach explique avoir demandé à Helios et un de ses étudiants de faire de la gymnastique, nus, devant la maison. Pour une raison ou une autre, un gendarme passe devant la maison et se déclare choqué par la scène à laquelle il assiste et qu’il décrit comme étant celle présentant un enfant et  jeune homme nu et en érection (le plus grand pointant irrévérencieusement vers le ciel).

Helios à Höllriegelskreuth, 1889

 

Diefenbach sera alors condamné par le tribunal de Munich à six semaines de prison, pour “gros méfait”, ce qui se traduira dans la presse par “vie de cochon”, “sensualité grossière” et “excès immoraux”, concernant ce qui fut le tout premier “procès pour naturisme” de l’Histoire allemande.
 

Ses démêlés avec la justice sont un nouveau prétexte pour Madeleine Atzinger de soutenir son acrimonie à l’endroit de Diefenbach. Au point que celle-ci disparaît avec les enfants, ce qui plonge Diefenbach dans la dépression, et le conduit à retourner au tribunal mais cette fois pour demander le divorce. 

Diefenbach est épuisé nerveusement, Fidus l’emmène à l’hôpital où il passera l’automne.

 

Karl Wilhelm Diefenbach et Hugo Höppner

Portrait de Magdalena Atzinger, 1888

peinture à l’huile sur toile, 65 x 59 cm

Karl Wilhelm Diefenbach et Hugo Höppner

Stella et Helios, 1888

peinture à l’huile sur toile, 124 x 72 cm

 

Fidus tâche alors de prendre en main la vie et l’animation de la communauté. Il organise la construction d’une grande salle d’exposition dans la carrière d’Höllriegelskreuth, puis il organise avec succès une exposition des œuvres de son maître à Munich.

 

Deux ans après son arrivée à Höllriegelskreuth, Fidus apparaît comme une figure idéaliste. Bien qu’ entièrement dévoué au service et à la gloire de son Maître, Fidus rêve de reconnaissance publique et est capable d’exaltation. Il emprunte volontiers au national-romantisme de Balzer, et ces tendances combinées ce le mettront au service du populisme Völkish du début du XXème siècle.

 

Diefenbach finit par prendre ombrage de ce disciple maintenant suspect d’ambitions personnelles. L’autoritarisme et l’ego de Diefenbach ne tolèrent l’émergence d’aucune autre personnalité que la sienne, et Fidus quitte Höllriegelskreuth à l’été 1889.

La mort subite (dont les raisons sont inconnues) de Madeleine Atzinger en septembre le libère de son enfer conjugal. Il peut donc retrouver un peu de sérénité auprès de Maximiliane Schlotthauer.

 

Mais la situation financière de la communauté est catastrophique. En plus des ennuis juridiques, Diefenbach doit faire face à quantité de créances qu’il ne peut honorer et qui conduisent notamment à la saisie de ses tableaux. 

S’ajoute l’exécrable réputation que Diefenbach s’est construite auprès des autorités, qui s’opposent à son idée de création d’un établissement d’enseignement réformiste et le privent de toute forme de revenus.

1890-1894

Karl Wilhelm Diefenbach

L’Apparition, ou, Un Corps Sidéral, 1890

 

Déclaré “personne notoirement nuisible et immorale” par le tribunal de Munich, Diefenbach doit quitter Höllriegelskreuth. Il confie le site et les tableaux qui s’y trouvent à ses disciples et part s’installer dans une ferme à une trentaine de kilomètres à l’est, dans la petite ville de Dorfen. Il y installe rapidement une exposition de ses œuvres qu’il est possible de visiter après s’être acquitté d’un “droit d'entrée à volonté”, c’est-à-dire dans les mots d’aujourd’hui : à prix libre.. 

 

Le 22 juin 1891 le Berliner Tageblatt publie un portrait élogieux de Diefenbach, très éloigné de la personne immorale décrite par la justice de Munich : 

Nous sommes encore plus touchés par les trois enfants de Diefenbach, qui peuvent être considérés comme les objets de démonstration les plus heureux de son mode de vie naturel. Hélios, dix ans, est un beau garçon aux joues rouges et potelées et aux muscles forts. Viennent ensuite Stella, 8 ans et demi, et Lucidus, 4 ans et demi , dont les yeux bleu clair... Le maître D. héberge actuellement trois jeunes étudiants dans sa maison. se préparant à transformer ce qui était auparavant une grange à foin en salle d'exposition pour l'aménager pour ses peintures.

Diefenbach avec Lucidus, Stella et Helios, 1890

 

Diefenbach se remet également au travail d’élaboration de monuments gigantesques et habitables, et notamment sur les plans d'un “bâtiment circulaire géant”, basé sur le modèle grec, dans lequel il veut pouvoir se promener nu et marcher, faire de la gymnastique, danser et chanter avec les disciples. 

František Kupka

titre inconnu - extrait d’un portfolio de 28 estampes, ca. 1890

 

Disciples qui manquent sans doute à son ego à ce moment-là puisque le transfert de Höllriegelskreuth à Dorfen les a dispersé (par voies légales) lorsque les humeurs du Maître ne les ont pas simplement incités à prendre le large. 

Il y a pourtant une personnalité remarquable qui vient à Dorfen quelques mois, c’est celle de Frantisek Kupka, encore hanté par le symbolisme, et qui souscrit à l’époque aux préceptes de culture physique et de nourriture végétarienne.

Diefenbach en famille devant la maison de Dorfen, 1890

 

Diefenbach précise et radicalise ses positions en faveur du végétariannisme : il passe pour avoir adopté un régime alimentaire qui exclut tout produit d’origine animale, et pratique donc un végétalisme avant l’heure : ni oeufs, ni lait. Ce qu’il préfère ce sont les tomates, les pommes et le pain. 
 

C’est depuis Dorfen que ces usages deviennent des prises de position politiques. 

Diefenbach se dit guidé par un instinct éthique qui le conduit à repousser les produits carnés car ceux-cis proviennent de l’abattage (sur le point d’être industrialisé) de créatures qui nous sont comparables. Nés comme nous, avec le même droit à la vie, capables de ressentir les joies et les douleurs, les animaux sont des créatures de Dieu et il c’est aller contre Dieu que de manger leur cadavre. 

Poursuivant cette idée Tolstoïenne, Diefenbach considère que la banalisation du meurtre des animaux a pour conséquence la banalisation du meurtre des humains. C’est cette brutalisation générale, par laquelle nous devenons carnivores provoque un abrutissement des émotions, puisqu’elle nous rend insensible au meurtre et à l’altérité.

Karl Wilhelm Diefenbach

Tu ne tueras point, version de 1902

peinture à l’huile sur toile, 45 x 90 cm, Musée Städel, Francfort

 

Privé des prêches dont il avait coutume, Diefenbach exprime son opposition à la chasse et à la boucherie dans ses tableaux, et en particulier dans les versions successives du tableau titré Tu ne tueras point. Diefenbach met également au point un symbole : celui d’une pomme brisant un glaive, que l’on verra apparaître dans ses publications ultérieures. Le végétariannisme de Diefenbach l’a conduit au végétalisme, puis à exprimer des positions antimilitaristes.

dessin satirique, Munich 1892

Controverses

Ces prises de positions vont progressivement polariser l’usage que la presse fera du personnage médiatique construit par Diefenbach, et diviser les partisans du Lebensreform à son sujet.

 

Les végétariens organisés en clubs, en maisons d’éditions ou désormais en réseaux d’épiceries étaient divisés au sujet de Diefenbach, artiste controversé, médiatisé, chef autoritaire d’une communauté sans cesse en mouvement, et père de famille discuté par les témoignages terribles qui provenaient des anciens disciples. Diefenbach rassemble autour de lui une communauté mouvante mais divise la grande communauté du Lebensreform à laquelle il appartient, et dont il est l’un des principaux personnages publics.

 

Certains l'accusaient d'effrayer les gens avec son apparence et son comportement non conventionnels et de donner une image négative des végétariens à force d’un dogmatisme trop strict. C’est à cause de Diefenbach que les réformistes sont perçus comme des donneurs de leçons négligés, sales et intrusifs.

Caricature, mars 1892

 

D'autres doutaient que Diefenbach soit seulement végétarien, malgré ses déclarations. Dans un article du Vegetarische Rundschau, un ancien compagnon munichois exprime sa colère : Diefenbach mangeait régulièrement de la viande, laissait son jardin à l’abandon au lieu de l'utiliser pour cultiver des légumes et vivait dans des conditions d'hygiène déplorables.

On trouve donc dans la dernière décennie du XIXème siècle quelques détracteurs à Diefenbach, qui lui reprochent de s’être fait largement connaître par ses bizarreries sensationnelles et toujours flatteuses, mises au service d’un égo surdimensionné.

 

Diefenbach trouve cependant dans le même réseau quelques soutiens en faveur de ce qui est présenté comme un sacerdoce dans lequel il peut être vu comme le martyr surexposé de la cause végétarienne; cette frange favorable à Diefenbach lui reconnaît d’avoir dépassé une approche strictement digestive du végétariannisme pour en assumer les conséquences politiques et idéologiques en défendant des arguments éthiques.

 

Diefenbach paie donc le prix de sa notoriété (et celui de son ego) au sein même d’une communauté qui se divise entre conservateurs et progressistes, entre les tenants d’un Lebensreform pragmatique, et un autre idéaliste.

Karl Wilhelm Diefenbach (1851-1913)

Les Adieux, 1892

 

Diefenbach défend énergiquement son modèle naturiste mais la situation financière catastrophique de la communauté entraîne sa dissolution et Otto Driessen doit le quitter, emportant avec lui les fonds dont il disposait. Diefenbach fait une dernière exposition titrée Zum Meister Diefenbach dans un restaurant de Munich nommé la Fosse aux Lions. Il y reçoit la visite de Moritz Terke, directeur de l’Österreichischer Kunstverein de Vienne. 

Celui-ci, enthousiaste, propose à Diefenbach une exposition à Vienne. Diefenbach saisit l’occasion et, mettant un terme définitif à sa communauté de Dorfen, déménage vers Vienne.

Vienne, l’exposition

Publicité pour l'annonce de l'exposition. Dans : Neue Freie Presse, 28 mars 1892

 

Moritz Terke attend de Diefenbach des “peintures sensationnelles” qui soient à la hauteur de la réputation sulfureuse de Diefenbach et susceptibles de produire le scandale qui garantit le succès des expositions. Mais Diefenbach propose “seulement” une recomposition de la frise Ad astra per aspera, celle qui lui tient tellement à cœur, et qu’il redéploie en onze panneaux cette fois. Point d'œuvres “croustillantes”, donc. L’association est un peu déçue mais l’exposition s’étale tout de même sur une dizaine de mois et la fréquentation (payante) y est tout à fait remarquable qui fait dire qu’elle atteint jusqu’à plus de 70 000 visiteurs parmi lesquels on compte tout le petit monde de Vienne, ses notables et son aristocratie ne faisant pas défaut.

Gustav Klimt

Deux filles avec un laurier rose, 1892

Wadsworth Atheneum Museum of Art

 

Il est donc possible de considérer que cette exposition fut un succès, contribuant significativement à la notoriété de Diefenbach sur la scène viennoise ce qui, artistiquement, n’est pas rien puisqu’à l’époque les artistes qui seront ceux de la Sécession Viennoise y sont déjà installés. 

C’est en particulier le cas de Gustav Klimt, de Egon Schiele et de Koloman Moser, qui ont tous trois très probablement visité l’exposition de Diefenbach, et aperçu quelque chose du folklore dont il s’entoure. Le personnage de l’artiste-prophète porté par Diefenbach à partir de 1892 à Vienne à très probablement inspiré Gustav Klimt dans la mise en scène de son propre personnage à l’émergence de la Sécession Viennoise. L’idée d’un projet global, assurant une continuité depuis l’art jusqu’à la vie est très tentante pour des gens comme Arthur Roessler et Ernst Bahr, qui ont à l’évidence été séduits par les idées et par la mise en scène de Diefenbach. Et si l’on poursuit l’analogie entre Diefenbach et la Sécession Viennoise, on retrouve vite un goût pour les grands déploiements en frise (Per aspera ad astra vs la Frise Beethoven), un goût pour les temples (à commencer par le Palais de la Sécession), une conception messiannique de l’artiste, une mise en scène des protagonistes par la photographie (Gustav Klimt et Emilie Flöge), une codification vestimentaire à partir de la robe réformiste, et une intégration des arts décoratifs à l’articulation entre l’art et la vie. 

Emilie Flöge et Gustav Klimt en habits de réforme à la villa Oleander près du lac Attersee en 1910

 

Son intuition d’un art qui puisse être total fait que Diefenbach est donc très vraisemblablement une source d’inspiration pour les artistes de la Sécession Viennoise. Une source d'inspiration formelle, éventuellement organisationnelle, mais conduite par un personnage à l’ego notoirement surdimensionné et donc tout à fait inacceptable pour d’autres personnalités pourvues d’une volonté de rayonnement comparable. 

La Sécession Viennoise saura transformer l’austérité affichée de Diefenbach en un projet luxuriant et enviable, mais ne fera jamais mention de Diefenbach. 

Diefenbach a été le pionnier d’un renouveau artistique viennois que la Sécession a su faire sien et incarner pour la postérité.

Invitation à l'exposition de 1892
 

Mais Diefenbach ne profite que très peu du succès de l’exposition car si dix des onze peintures sont vendues, ce qui n’est pas négligeable, en revanche l’association viennoise détourne à son seul profit la recette de la billetterie. Ce succès se transforme donc en perte financière colossale pour Diefenbach et le met littéralement sur la paille. Il retourne à Höllriegelskreuth afin de reprendre ses tableaux pour les vendre aux enchères mais n’y retrouve que des disciples hagards dans une communauté devenue moribonde en l’absence de son chef charismatique.

 

Diefenbach se retrouve complètement démuni et doit se signaler aux autorités comme sans abri et sans ressources à Vienne, où il sera finalement secouru par un comité de ses plus fervents soutiens dont le Dr. Emil Boenisch, pionnier du végétariannisme viennois, et Katharina Kolarik, qui lui fournira une résidence à Baden bei Wien, près de Vienne.

Karl Wilhelm Diefenbach avec ses enfants et ses compagnes Katinka Kolarik (au centre)

et Magdalene Bachmann (à droite) à Baden en 1893

La Presse Viennoise

L'exposition de 1892 a été largement couverte par la presse, et pas seulement au motif de sa fréquentation mais surtout parce que les différents courants de pensées exprimés par les journaux ont trouvé dans l'œuvre de Diefenbach matière à préciser leurs positions.

 

La peinture de Diefenbach est une peinture d’inspiration symboliste qui montre de façon explicite des scènes oniriques au contenu moraliste. C’est une peinture fantastique dont les métaphores ou allégories ne sont pas particulièrement savantes, une peinture qui brille par sa littéralité et par la façon dont elle véhicule certains poncifs de la représentation du père, de l’Homme, ou de la jeune fille. Diefenbach produit une peinture populaire, une peinture “accessible à tous”, une peinture que l’on qualifierait aujourd’hui de “Kitsch”.

Karl Wilhelm Diefenbach

La danse des Fées, 1895

 

C’est ce qui permet à l’Allgemeine Kunst-Chronik de le situer dans le camp des grands peintres, bourrés de talent, capables de produire de pures créations artistiques. Mais cela n’a vraisemblablement pas suffi à contrebalancer les foules agressives à l’endroit de Diefenbach et de ses enfants, au motif de l’incompréhension causée par son mode de vie ou ses tenues vestimentaires.

Le Neugikeits Welt Blatt et des journaux libéraux comme la Neue Frei Presse et Die Presse ont renchéri sur le thème du martyr, en présentant Diefenbach comme un artiste incompris au motif de son insoumission aux conventions. Dans les pages de la Neue Frei Presse il est précisé que Diefenbach a été victime de l’intolérance, et qu’il a commis et continue de commettre l'injustice impardonnable de ne pas respecter les coutumes traditionnelles et la société, et parfois aussi celles des autorités, qui punissent les violations des coutumes traditionnelles et laissent faire des choses bien pires. Diefenbach trouve nos vêtements modernes dégoûtants et porte une sorte de robe d'apôtre [...] Il est également végétarien et prêche l'amour et l'unité entre les gens, ce que la société bien-pensante considère sont des crimes qui ne peuvent pas être commis en toute impunité.

 

Ces journaux vont s’opposer à ce qu’ils désignent comme étant la “tyrannie de la mode” et dont Diefenbach serait la victime désignée. La mode dont il s’agit doit moins à la modernité qu’au conservatisme, et ces journaux jugent cette attitude incompréhensible dans une grande ville, qui devrait, justement, faire la preuve de l’ouverture d’esprit que l’on tient généralement pour gage de modernité.

 

De l’autre côté du spectre politique, le Deutsche Volksblatt, journal ouvertement antisémite, s’est également déclaré en faveur de Diefenbach, non seulement au sujet de son oeuvre mais également en prenant position en sa faveur dans le conflit qui a opposé Diefenbach à Moritz Terke au sujet des recettes détournées de son exposition à Vienne, en s’attardant sur la situation désespérément précaire dans laquelle ce forfait mettait le grand artiste et en appelant à le soutenir malgré le fait qu’il nous ait dit qu’il n’était pas antisémite

Diefenbach à en effet rejeté des propositions de coopération de la part d’organisations antisémites qui à l’époque puisent leur inspiration dans les thèses de Theodor Frisch en déclarant : Je ne suis pas votre camarade, je méprise vos absurdités et déteste la haine raciale. Cette déclaration, qui a le mérite d’être claire, n’empêche pas le Deutsche Volksblatt de rester du côté de Diefenbach, et ce , très probablement au motif du populisme que véhicule sa peinture. 

La rédaction du Deutsche Volksblatt tenait Diefenbach comme capable de produire des oeuvres qui soient un contrepoint à l’art moderne et au monde de l’art de l’époque, qu’ils considéraient à leur tour comme faisant partie d’une modernité corrosive, matérialiste et trop rationaliste. 

Karl Wilhelm Diefenbach

Une fée sur le rivage, 1892

 

Le style de peinture de Diefenbach correspondait en effet à une esthétique populiste, qui préférait les représentations harmonieuses et romancées, mais proches de la nature, aux styles symbolistes ou expressionnistes.

Malgré son rejet de l’Église catholique en tant qu’institution, Diefenbach était également perçu comme un artiste religieux. Non seulement des motifs d'images comme celui de Jésus mourant y ont contribué, mais aussi le positionnement de Diefenbach avec des déclarations telles que : Puissent ces images et croquis de rêve témoigner que la main qui brandissait le pinceau est enracinée près d'un cœur qui brille pendant tout est divin et idéal .
Les thèmes mis en œuvre par Diefenbach dans ses peintures incluaient la « souffrance » et le « salut ou le paradis » comme motifs à connotation religieuse ont été accueillies positivement par le Volksblatt allemand, tout prêt à en instrumentaliser le contenu pour des motifs politiques. Si Diefenbach à résisté à cet appel de l'extrême-droite populiste, Fidus y va y répondre favorablement et même avec une certaine dévotion, dans l’espoir d’y trouver le levier de la réalisation de ses ambitions.

Stella, Karl,  Helios et Lucidus Diefenbach à Baden 1894

1895-1913

 

La fin des années 90 à Vienne voit Diefenbach entretenir la posture d’un artiste autoritaire à l’excès, que ses enfants appellent Maître et dont les relations avec Helios vont devenir de plus en plus tendues et violentes, ce qui placera Diefenbach dans l’attitude schizophrénique d’un père martyr: à la fois commandant aux comportements de son fils aîné et lui assignant des devoirs, et victime de l’absence totale d’affection de la part de ce même fils qui poursuit l’affront envers son père dans ses propos comme dans ces actes. 

La lutte avec Helios ne cessera qu’avec le décès de Diefenbach.

 

C’est donc le Maître qui impose à ses enfants une randonnée dans les Alpes, randonnée faite à pieds nus avec sur le dos le matériel de campement et aussi celui de peinture. Il est possible que cette randonnée ait conduit la petite troupe depuis les montagnes du Karwendel (au nord d’Innsbruck) jusqu’aux rives du lac Majeur.

De cette randonnée il demeure une photographe tout à fait étonnante, qui montre la tribu Diefenbach dans le dénuement vagabond décidé par le Maître et donc dans des conditions qui aujourd’hui pourraient sembler inacceptables et en effet très dures pour les adultes comme pour les enfants.

Diefenbach en famille dans les Alpes, 1895

de gauche à droite : Lucidus, Helios, Magdalene Bachman, Karl Wilhelm, Stella et Paul von Spaun

 

Cette photographie est un autoportrait, et elle est à prendre comme une photographie de propagande. Les sujets y prennent la pose qui figure une famille unie dans les principes du mode de vie naturel sous la houlette de la figure paternaliste. Faire une photographie à l’époque suppose un appareillage et des dispositions qui sont encore lourdes et complexes : la photographie instantanée n’existe pas encore loin s’en faut, et ce type de photographie doit davantage à la peinture d’histoire qu’à l’émerveillement du photographe découvrant une charmante scène pastorale. Une photo comme celle-ci, à l’époque, suppose une intention et réclame une organisation. C’est très probablement Diefenbach lui-même qui est l’auteur de cette photographie, ayant eu au début de sa carrière à assurer quantité de prises de vues alimentaires, il en maîtrisait parfaitement la technique et en a saisi très tôt les enjeux.

 

C’est une image de l’ordre dans le dénuement, une image de la pureté dans l’ascétisme, une image qui prétend à la vérité, mais qui témoigne également de l’importance accordée par Diefenbach à la photographie comme document épique susceptible de contribuer à la diffusion du “récit Diefenbach”.

 

Mais dans les faits, cette randonnée est organisée pour le seul bien de la santé du Maître, qui entraîne avec lui ses “disciples et élèves” et dont les courriers témoigneront de l’ambiance exécrable et de conspiration qui régnait alors dans le groupe. 

 

En 1894, Stella n’a pas encore quinze ans que la maigre communauté est rejointe par Paul von Spaun, d’à peine quatre ans son aîné, et qui deviendra son mari. C’est à Von spaun que l’on doit le projet élaboré pendant la randonnée dans les Alpes visant à envoyer Diefenbach à l'asile de fous. 

Magdalene Bachman avait également rejoint la tribu l’année précédente, en tant qu’institutrice des enfants Diefenbach, en tant que secrétaire et compagne.

 

On précise ici la permanence d’un ou d’une secrétaire aux côtés de Diefenbach et qui témoigne de son obsession pour l’enregistrement de ses actes comme de ses pensées. Diefenbach entretient une vision paranoïaque de la société allemande ou autrichienne qui l’entoure, et enregistre son journal quotidien comme on constituerait un dossier de preuves en vue d’un procès.

Cette activité, systématique, harassante, est confiée à des secrétaires au motif de l’infirmité de Diefenbach.

La tenue du journal est également transposée chez les disciples de Diefenbach, c’est la toute première des contraintes imposées par le Maître.

Diefenbach, ses enfants et ses disciples à Baden, 1895

de gauche à droite : Rudolf Preissecker, Milosch Meixner, Dr. Emil Boenisch, Karl Wilhelm Diefenbach, Magdalena Bachmann et Paul von Spaun

Helios, Lucidus et Stella Diefenbach

 

Réformistes Viennois

Au printemps 1895 Diefenbach fait une nouvelle exposition de ses oeuvres à Vienne, cette fois soutenu par un comité dans lequel on trouve Anna Lesser Kießling, tour à tour actrice, musicienne et écrivain et journaliste; Anna Lesser Kiessling est une figure centrale de l’émancipation “morale” des femmes en Autriche. Elle a pu donner nombre de conférences sur la moralité des femmes, le végétariannisme et l'éducation des enfants en Suisse, aux Pays-Bas et en Autriche. Durant cette période, Anna Lesser Kiessling a été l’un des principaux soutiens financiers de Diefenbach, en l’introduisant également auprès de la haute société Viennoise. Anna Lesser Kiessling a siégé au conseil d’administration de l’Association Végétarienne de Vienne et prononcé le discours d’ouverture du Congrès Végétarien International de Vienne en 1885.

 

Il faut noter que Vienne en 1895 héberge quelques initiatives réformistes souvent soutenues par des fortes personnalités féminines. 

  • Marie Schmall, par exemple, et son mari Joseph, ouvrent cette année-là dans la Lerchenfeldstrasse  la première épicerie végétarienne de la ville, qui propose également des cosmétiques et des vêtements adaptés aux femmes ne souhaitant plus porter de corsets, voire des autocuiseurs adaptés à la cuisson lente des légumes.

  • Magdalena et Karl Ramharter fabriquaient depuis 1875 déjà le pain Graham (sans levure, ni sel) avant d’ouvrir un restaurant végétarien dans lequel les étudiants de la ville étaient nourris gratuitement.

  • Anna Fischer-Dückelmann a été une des premières autrichiennes à terminer ses études de médecine. Très Tôt engagée dans la naturopathie, spécialiste de la nutrition elle est l’auteure d’une critique très sévère de l’alimentation carnée : 

Ce que l’homme apprécie en toutes circonstances lorsqu'il consomme de la viande, ce sont les parties du cadavre d'un animal, qui contiennent toujours des produits métaboliques qui n'ont pas encore été excrétés.

Anna Fischer-Dückelmann

Déformations du corps induites par le port du corset, 1911

 

De Vienne Anna Fischer-Dückelmann ira à Dresde avant de s’installer en 1914 à Ascona, où elle proposera ses soins aux colons du Monte Verità.

  • Berta Mutschlechner enfin, écrit dans des journaux catholiques dans lesquels elle fait l’apologie de la naturopathie et de la protection des animaux, animaux qui sont également le sujet de nouvelles qu’elle écrit et dans lesquelles elle leur accorde des valeurs morales, telles que la fidélité et la loyauté.

Diefenbach n’est donc pas isolé dans son projet réformiste à Vienne. Il trouve là une scène capable de débattre certaines des problématiques sur lesquelles il s’est avancé (végétarisme, végétalisme, respect des animaux). Les questions relatives au nudisme, à l’amour libre, au rejet de la religion et à la vie communautaire étant d’un autre ordre. C’est dans ce milieu réformiste viennois que Diefenbach rencontre une duchesse qui va le soutenir financièrement et lui permettre son voyage en Egypte, ce qui tombe assez bien puisque Diefenbach se voit expulsé du logement que lui avait fourni Katharina Kolarik, cette dernière s’étant suicidée, probablemant parce qu’elle n’acceptait que très mal de partager Diefenbach avec d’autres femmes.

 

Karl Wilhelm Diefenbach (1851-1913)

Autoportrait, 1895

L’Egypte

Entre 1896 et 1897 Diefenbach est en Egypte. C’est à Alexandrie, en janvier 1896, qu’il rencontre le peintre Costis Parthenis, d’origine grecque, et qui deviendra son disciple de voyage avant de le suivre à Munich.

Karl Wilhelm Diefenbach et Costis Parthenis en Egypte, 1896

 

En Egypte, Diefenbach célèbre une épiphanie toute personnelle avec les divinités et l’immense civilisation qui se trouvait là-bas et sur laquelle reposent quantité de fantasmes mystiques susceptibles d’alimenter une propension à l’occultisme et à la théosophie. Diefenbach profite de son séjour pour y vivre l’expérience de la peinture en milieu désertique, où il dit trouver une paix et une sérénité éprouvées nulle part ailleurs, et il reprend en Egypte ses projets de monuments et de temples à la hauteur du gigantisme des Pyramides. Diefenbach  dessine toutes sortes de plans pour des temples en forme de Sphinx qui abriteraient des cités gigantesques qui vivant au rythme et sur le mode des règles de la réforme. L’ensemble prévoit également la crypte dans laquelle reposerait pour l’éternité la dépouille mortelle du Maître.

Karl Wilhelm Diefenbach

Projet de bâtiment en forme de Sphinx géant, 1897

 

Le thème du Sphinx va hanter Diefenbach jusqu’à la fin de ses jours, il y consacrera un certain nombre de peintures, plus spectaculaires les unes que les autres.

 

Karl Wilhelm Diefenbach

Sphinx sur le rivage, 1900

 

Karl Wilhelm Diefenbach

Sphinx et Ondine, 1902

Karl Wilhelm Diefenbach

Sphinx, 1913

Himmelhof

Karl Wilhelm Diefenbach revient à Vienne en 1897, plein d’ambitions : il souhaite récupérer ses photos, envisage de publier la revue Humanitas et veut organiser une grande exposition de ses œuvres. Mais il ne retrouve pas la situation comme il l’avait laissée.

 

26 mars 1997 

lettre de Karl Wilhelm Diefenbach à Emmy Meier:

J'ai été soudainement privé des soins dont j'avais constamment besoin, compte tenu de ma souffrance physique, que seule une femme aimante peut m'offrir, avant même de pouvoir penser à chercher une remplaçante, et en plus d'être accablé par les accusations aussi scandaleuses de la part de la jeune femme qui avait été si proche de moi auparavant, je me suis effondré. 

Dès lors, mon séjour en Egypte, autrefois le plus grand, fut l'une des périodes les plus horribles de ma vie « folle », « immorale ». J'ai dû abandonner tous les meubles que j'y avais acquis et des tableaux presque terminés, abandonner une grande maison à Heluan (à la lisière du désert) que j'avais payée d'avance pour toute l'année et renoncer à la meilleure opportunité d’exploiter mes tableaux au Caire, que j'avais créés dans une solitude et une paix sublimes. 

J'ai quitté l'Egypte pour retrouver à Hütteldorf la destruction complète (par moisissure) de mes tableaux (dont 'Rédemption'), que j'avais confié à la surveillance de Paul von Spaun , ainsi que la vie parasitaire honteuse, paresseuse et vicieuse à mes dépens de Paul von Spaun, qui à l'époque, dans l'Helios qui lui a été confié, a jeté les bases de sa vie de salope actuelle.

 

(Emmy Meyer était un peintre du paysage Allemand, née en 1866 et morte en 1940 dans la colonie du Worpswede. Emmy Meyer arrive à Worpswede en 1898. Sa correspondance avec Diefenbach atteste de la connaissance mutuelle  de ces colonies.)

En octobre de la même année, il s'installe avec sa famille et ses amis et disciples au Himmelhof, une ancienne auberge à Ober Sankt Veit à l'ouest de Vienne. 

Pendant environ deux ans, 25 adultes et quelques jeunes y ont vécu, parmi lesquels des idéalistes et des réformateurs de la vie comme Gusto Gräser, l'éducateur Pestalozzi, Wilhelmine Vogler, l'écrivain Anton Losert, Bertha von Suttner, le journaliste Michael Georg Conrad, Magnus Schwantje qui fonde le Bund für radikale Ethik (société pour une éthique radicale), le peintre Frantisek Kupka, quelques ouvriers (après que les partisans de Diefenbach eurent fortement promu ses expositions parmi les travailleurs), mais aussi des personnes un peu perdues, qui cherchaient un soutien moral qu’ils ont trouvé sous l’aile de Diefenbach.

Himmelhof, 1897

 

Dans ces dernières années du XIXe siècle, les arguments en faveur du végétarisme sont de plus en plus fondés sur des considérations éthiques, mettant en avant le respect de chaque être vivant. Le végétarisme tend à viser un état de coexistence pacifique pour tout le vivant, et la bonne application du végétarisme à l’humanité peut prévenir la guerre. 

 

Le Himmelhof fut pendant une courte période un lieu central et influent de l'utopie de la réforme de la vie. De nouvelles formes de vie en commun au sein d'une communauté bénévole étaient expérimentées, de nouvelles formes d'activité commerciale sans activité lucrative et grâce à un degré élevé d'autosuffisance en fruits et légumes y furent réalisées, dans une vie quotidienne structurée uniquement par et autour du mode de vie végétarien. Au Himmelhof, Diefenbach réalise pendant deux ans un mode de vie total sous un régime dont l’expérimentation n’avait été à ce jour que partielle. C’est aussi au Himmelhof que Diefenbach à pu réunir simultanément le plus grand nombre de disciples.

 

Diefenbach fonde à Himmelhof dès 1897 une revue titrée Humanitas, et devient à Vienne une figure-clé parmi les précurseurs des mouvements réformateurs autrichiens à l'instar de l’écrivain marginal Peter Altenberg, proche du peintre Gustav Klimt, ou de Florian Berndl, le fondateur du Gänsehäufel, l’institution des bains publics de Vienne.

Humanitas, publication d’octobre 1897

 

Cette communauté est rurale, végétarienne et naturiste. C’est une colonie artistique sur une colline, où l’air pur doit favoriser la régénération du corps et de l’esprit. La communauté s’installe dans ancienne ferme laitière, villégiature d’été et café d’altitude créé par la famille Jauner, artistes et directeurs de théâtre à Vienne. 

Par temps clair on aperçoit depuis ce site privilégié toute la ville de Vienne, jusqu’à Bratislava. 

 

Le bâtiment était entouré d'un jardin que Diefenbach et ses disciples utilisaient pour bronzer et cultiver des légumes. La presse de l’époque publie des comptes-rendus qui devaient probablement assouvir la curiosité des viennois et nous renseignent aujourd’hui sur les routines de la communauté. 

 

L' Österreichische Illustrierte Zeitung a rapporté à ses lecteurs que tous les habitants se levaient tôt le matin et prenaient leur petit-déjeuner ensemble après le bain. La matinée et l'après-midi ont été consacrés à divers travaux. À l'heure du déjeuner, nous nous retrouvions pour manger, qui, comme le petit-déjeuner, était composé en grande partie de fruits et légumes (pour la plupart crus) et de pain. 

Dans cet « atelier pour la religion, l’art et la science », dont Diefenbach définit l'organisation, ils travaillent en commun dans et avec la nature : ils pratiquent leur art et la culture des légumes, la propriété est collective, ils habitent tous la vaste demeure à deux étages de l’ancienne métairie. Adultes et enfants profitent de deux heures par jour pour étudier l’orthographe ou pratiquer le dessin et la musique. La colocation Lebensreform passe la soirée à avoir des « discussions philosophiques » avant de se coucher tôt avec la fenêtre ouverte.

 

La communauté, aussi appelée Humanitas ou Humanitas Familie, se définit en quelque sorte comme la première famille d’une humanité nouvelle. Elle se veut être la colonie du « rien faire, donc de la vraie vie ».

 

En accord avec les principes de la naturopathie, ce mode de vie doit permettre de soigner toutes les affections du corps et de l’esprit, et ainsi atteindre par la santé recouvrée l’état de Gottmensch (Homme-Dieu). À travers ses attaques violentes contre l’Église et son rejet de la notion de Dieu-rédempteur, Diefenbach partage les idées d'un influent contemporain, Friedrich Nietzsche. 

La vie saine comme moyen de devenir un Gottmensch chez Diefenbach est comparable à l’état de « grande santé » par lequel naît « l’homme nouveau » chez Nietzsche.

Costis Parthenis

verso de la revue Humanitas, 1897

Trombinoscope

L’occasion est belle pour Diefenbach de compter ses troupes, c’est la troisième colonie qu’il fonde, et ce sera aussi la plus nombreuse. Diefenbach organisera à Himmelhof au moins quatre séances de photos de groupe pendant l’été 1898.

 

En 1898, Karl Wilhelm Diefenbach rencontre Wilhelmine (Mina) Vogler, qu'il épouse, mais il vit principalement avec sa sœur Marie Vogler (ou dans une sorte de mariage à trois).

 

Mathilde Orbony est une ancienne compagne de Diefenbach. Elle quittera la communauté en 1899 en étant accusée d’un vol par Diefenbach dont elle sera acquittée.

 

Homo Walther est le fils de Ida et Wilhelm Walter.

 

Friedrich von Spaun a une relation avec Stella Diefenbach en 1998.

 

Magdalena Bachman-von Spaun a été l’institutrice des enfants de Diefenbach et sa compagne. C’est elle qui figure sur la photographie prise dans les Alpes.

 

Paul von Spaun (1876-1932) est le frère cadet de Friedrich von Spaun. Il est bossu et entretient une relation avec Stella Diefenbach depuis 1885, le couple suivra Diefenbach à Capri et aura cinq enfants. Paul était un peintre paysagiste minutieux, assistant de Diefenbach et exécutant de certains de ses tableaux, il sera accusé de contrefaçons.

 

Vera Diefenbach naît en 1899, fille de Stella Diefenbach, à la paternité incertaine (Paul ou Friedrich von Spaun).

 

Fridolin von Spaun naît en 1901 à Anacapri. Décédé en 2004 il est le fils aîné de Stella Diefenbach et de Paul von Spaun (suivront Wahnfried en 1904; Genofeva en 1906, Siegfried Friedrich  en 1908; et Wieland en 1911), il sera un compagnon de Wandervögel en 1920 et participera cette année-l à la procession conduite par Gusto Gräser et Freidrich Muck-Lamberty. Militant de l'extrême droite allemande, national-socialiste, membre de l’Oberland Freikorps, du NSDAP, fonctionnaire du HIAG et archiviste de la famille von Spaun.

 

Hans Paule est né en 1879 à Vienne, il va étudier à l’académie des Beaux-Arts de Vienne et devenir un disciple de Diefenbach à partir de 1897. Contrairement aux artistes qui l’entourent, davantage inspirés par le paysage, Hans Paule va montrer très tôt un vif intérêt pour l’expressionnisme. Hans Paule va suivre Diefenbach à Capri, où il passera l’essentiel de son existence en y développant le mythe du peintre qui vivait dans une grotte, exprimant par là l’influence que fut celle de Johannes Guttzeit à son endroit..

 

Anton Losert a d’abord été un militant social-démocrate avant de devenir un fervent disciple des thèses de Johannes Guttzeit, Losert rejetant tout usage de l’argent. C’est avec Gusto Gräser et Wilhelm Walter qu’ils formenteront la sécession d’Himmelhof. On retrouvera la trace d’Anton Losert dans le Dakota en 1940.

 

Gusto Gräser, frère cadet de Karl Gräser, il rejoint la communauté en 1898 puis deviendra un des fondateurs du Monte Verità avant d’entreprendre la Croisade pour la Paix qui fera de lui une figure centrale du Lebensreform.

 

la communauté du Himmelhof, avril 1898

image colorisée

 

la communauté du Himmelhof, mai 1898

image colorisée

 

la communauté du Himmelhof, 31 août 1898

 

la communauté du Himmelhof, 31 août 1898

 

la communauté du Himmelhof, octobre 1898

 

la communauté du Himmelhof, 4 octobre 1898

La communauté du Himmelhof, photo parue dans l’Österreichische Zeitung du 23 octobre 1898

 

Les autres noms cités au titre de disciples du Himmelhof sont : 

Josef B., Anna Bayer (Jukunda), Carola, Matthias Czerney (Ignatz), Albertin Gold (Simplizius), Elisabeth Guttzeit, Marianne Kohnhäuser (Leta), Franz Mayer et Hermann Seidel.

 

Hermann Müller décrit Karl Wilhelm Diefenbach :

Ce combattant solitaire avait rompu avec les préjugés, la folie nationale et religieuse et les institutions figées de son temps. Pour lui, le « mode de vie naturel » avec un régime sans viande et une activité physique sans restriction dans la lumière, l’air et l’eau était plus qu’un simple exercice de santé, mais plutôt une opportunité de remettre en question radicalement la tradition anti-naturelle de l’Occident et surtout Le christianisme. Diefenbach a appelé à une nouvelle culture au-delà du patriarcat, du culte de la nature et du moi divin dans l’homme. Une nouvelle race humaine devait être élevée dans sa maison, qu'il appelait « Humanitas ». Cette vision devait inspirer le jeune Gusto Gräser, qui avait beaucoup souffert de la pression de l'école et de l'église dans son pays natal de Transylvanie.

 

Volte-Face

Malgré la renommée d’Himmelhof en tant que foyer intellectuel et artistique, l’existence de la colonie est menacée par des attaques extérieures : le mode de vie des membres est jugé immoral, et suscite une série d'articles accusateurs à l'encontre de Diefenbach.

Sous le titre Maître du rien faire et de la vraie vie, le quotidien catholique Neuigkeits-Weltblatt dénonce avec véhémence en 1898 les activités immorales de cette compagnie de parasites et de fous d’Himmelhof, qui constituent un danger public, abusent de la nature charitable des Viennois en persévérant dans le saugrenu, le charlatanisme, et s’obstinent dans une vie d'oisiveté honteuse.

Diefenbach à Vienne ; Photo de : Wiener Bilder, 25 septembre 1898

 

Que de nombreux Viennois ne partagent pas les vues et le mode de vie de Diefenbach ne suffit pas à créer un scandale.. Le Deutsche Volksblatt , par exemple, qualifiait le végétarisme de « plutôt inoffensif » et résumait l'opinion de nombreux contemporains : En fin de compte, chacun peut manger ce qu'il veut.

 

Le mode de vie végétarien de Diefenbach et de ses collègues a été largement évoqué dans la presse quotidienne viennoise, qui a souvent fait remarquer avec moquerie que les appels aux dons pour Diefenbach étaient exagérés compte tenu de son penchant pour les fruits, en précisant que la nourriture du Himmelhof était jugée trop ascétique. Les descriptions de la vie au Himmelhof étaient complétées par des remarques d’ordre vestimentaire et économique : Ils portent des vêtements poilus, ils ne peuvent pas avoir d'argent dans leurs poches et ils mangent exclusivement de la nourriture végétale. Leur temps libre se déroule entre le jardinage et les sermons sur l'amélioration du monde, qui soulignaient progressivement la capacité subversive de ces usages.

 

Le scandale arrive par les pages de l’Arbeiter Zeitung, journal social-démocrate, qui entend donc protéger le travailleurs et prend comme point de départ une anecdote. Au début du mois de décembre 1898, l' Arbeiter Zeitung, qui ne publiait jusque-là que des articles élogieux au sujet de Diefenbach et de la communauté du Himmelhof, fait soudain volte-face et déclenche des polémiques houleuses contre l'artiste et réformateur de la vie.

L’anecdote est la suivante : après une conversation avec Paul Spaun, l'ouvrier Josef B. a décidé d'abandonner son travail et de rejoindre les réformateurs de la vie du Himmelhof. Après que sa femme – qui était alors enceinte de leur deuxième enfant – ait refusé de l’accompagner. 

Des collègues sociaux-démocrates et des connaissances de B., après des tentatives infructueuses pour le ramener dans son foyer, organisèrent alors un rassemblement devant la maison de Himmelhof, un dimanche début septembre. Après qu’ils eurent une conversation avec B., il fut ramené à la raison et retourna dans les jours suivants auprès de son épouse et de son employeur. 

L' Arbeiter Zeitung a qualifié cette opération de succès : Il recommencera à travailler demain. Un changement positif s'est également produit chez l'homme depuis dimanche. Il ne vit plus selon les règles strictes du « maître », mais il fume à nouveau et mange aussi des plats cuisinés. 

Le journal se met à décrire Diefenbach comme le fondateur d'une secte et, surtout, critique Paul Spaun, qu’il accuse de fraude (parce qu'il buvait secrètement du café et fumait). 

L’ Arbeiter Zeitung a également rejeté la thèse de la réforme de la vie selon laquelle le passage à la culture et à la consommation d’aliments à base de plantes pourrait révolutionner les rapports de production en faveur des travailleurs. Les sociaux-démocrates étaient d’avis que la doctrine […] selon laquelle les travailleurs devraient vivre de fruits crus n’est pas révolutionnaire, mais si réactionnaire que tous les exploiteurs souhaiteraient avec enthousiasme que les travailleurs soient assez fous pour la suivre, puisqu’ obtenir des travailleurs économes et donc bon marché est leur idéal.

 

Ces articles critiques ont rendu possible l’émergence de quantité d’articles qui se faisaient l’écho des viennois qui se déclaraient choqués pour des raisons morales des usages en vigueur au Himmelhof, considérant surtout l’habitude de bronzer nu et de vêtements de réforme jugés comme une nuisance publique. Ces journaux critiquaient particulièrement l'oisiveté du peintre, perçue ou réelle. Le Neue Wiener Journal , le quotidien le plus diffusé de Vienne à l'époque, se moquait par exemple : Son principe de vie est d'être entretenu par d’autres et qualifiait notamment de dangereux le don de fascination  de Diefenbach, car il attirait les gens vers lui-même et sa secte .

 

Le Deutsche Volksblatt, auparavant bien disposé à l'égard de Diefenbach, a également changé d'attitude et a donné dans plusieurs articles des exemples d'anciens colocataires de Diefenbach qui, soit ont été expulsés par lui en raison de différences et donc, comme une famille avec un petit les enfants, sans abri dans les rues de Ober Sakt Veit, erraient ou marchaient seuls, comme un jeune homme tellement dégradé qu'il n'avait même pas de chaussures.
 

Diefenbach se considérait comme un éducateur divin et dirigeait ses disciples d'une main ferme. Un membre de la communauté a déclaré : 

Nous formons tous ensemble une famille Diefenbach, guidée par l'esprit du maître, qui a le maître pour chef, qui est son chef et son enseignant et qui, confiant en son commandement, doit lui fournir une obéissance inconditionnelle en tout et n'importe quoi. 

La soumission réclamée doit être aveugle et totale.

Il était interdit de marcher seul dans la ville, les lettres étaient censurées et chacun devait soumettre au Maître un journal sur ses activités. Tout courrier venant de l’extérieur ou quittant la communauté était personnellement vérifié par Diefenbach. Les relations érotiques au sein de la commune étaient taboues et la chasteté de rigueur alors même que Stella (seize ans en 1898) fait l’objet de toutes les convoitises et provoque des drames amoureux). Toute allusion à l’activité marchande des tableaux du Maître était interdite alors que les fidèles de la communauté en étaient les fabricants.

Seul Diefenbach pouvait se soustraire à ces règles, puisqu’il  vivait au moins deux relations avec des femmes en même temps.

Les exemples abondent qui décrivent une communauté qui va basculer progressivement dans le régime de la terreur en y développant quantité d’intrigues et d’influences. L’autoritarisme dans lequel verse Diefenbach à partir de 1897 vient contredire les idéaux de liberté dont la communauté assure la promotion, mais est incapable de contenir la révolte qui gronde maintenant dans la communauté.

Paul Ritter von Spaun

né en 1876, Paul von Spaun est issu d’une famille de la noblesse autrichienne. Il étudie à l’académie des Beaux-arts de Vienne dans les ateliers de August Eisenmenger, d’Eduard Peithner puis de Franz von Lenbach, cursus qui fera de lui un peintre minutieux du paysage, puis s’installe à Munich où il peint des portraits.

 

Dans le sillage de Fidus, les études que poursuit Paul von Spaun lui permettent de disposer du savoir-faire dont Diefenbach a besoin pour la réalisation des tableaux qu’il est incapable d’élaborer seul, à cause de son bras droit paralysé et c’est en 1895 que Paul von Spaun rejoint la communauté à Dorfen où il est très bien accueilli par Diefenbach qui reconnaît peut-être dans l’infirmité de Paul (qui est bossu) une partie de ses propres tourments. 

C’est à Paul que Diefenbach confiera les clefs et les biens de Dorfen pendant son voyage en Egypte.

Paul Ritter von Spaun

Ruisseau au printemps, ca. 1898

 

En 1895, Paul von Spaun entame une relation avec Stella (1882-1971), la fille de Diefenbach, âgée de treize ans. Lorsque Diefenbach en a eu connaissance, il a fait chanter son adlatus pour le garder dans la communauté, que Paul souhaitait en réalité quitter. 

Lorsque la première fille de Stella, Vera, naît en 1899, Paul en attribue la paternité à son frère Friedrich.

 

C'est Paul qui va donner prise aux critiques les plus sévères ou triviales parues dans la presse : Max Winter, journaliste au Arbeiter Zeitung commencera par dénoncer sa consommation de café et de cigarettes derrière les rideaux fermés des hôtels, qui contredisait les maximes d'un mode de vie sain prêchées publiquement par Spaun. 

La presse l'a ensuite traité d'hypocrite et de fripouille. Les titres nobles et les origines familiales ne correspondaient pas non plus à la vision du monde propagée par von Spaun, et étaient utilisés pour réquisitionner des fonds de soutien à la communauté, notamment avec la création d'une « association d'honneur » pour Diefenbach, pour laquelle des personnes comme Bertha von Suttner furent temporairement recrutées.

 

Paul von Spaun doit également se présenter au procès dans lequel il est accusé par le Neuigkeits Welt Blatt d'avoir falsifié un grand nombre d'œuvres de Diefenbach ou d'avoir fait circuler des peintures sous le nom de Diefenbach. Spaun a créé de nombreuses œuvres, dont beaucoup, comme Diefenbach, dans le seul but de les vendre. Son frère Friedrich expliqua que lui et Paul avaient travaillé ensemble sur des tableaux et que celui qui avait la plus grande contribution artistique les signait toujours.

Spaun est sorti acquitté du procès, au prix d’une dégradation de l’appréciation des peintures de Diefenbach.

 

Paul von Spaun, accompagné par son frère Friedrich, de Mina Vogler, de Stella et de Lucidus accompagneront Diefenbach successivement à Trieste puis à Capri.

 

Les œuvres de Paul von Spaun sont en grande partie une propriété familiale. Une côte rocheuse a été achetée par le Musée national de Haute-Autriche en 1972.

Son œuvre n'a pas encore été appréciée dans l'histoire de l'art, il n'est mentionné dans aucun lexique d'artiste ni en tant que personnage de la littérature actuelle, même si elle ne manque pas de brio dans les marines, son œuvre reste très anecdotique.

Paul Ritter von Spaun

Vagues se brisant, 1918

Dorotheum, Vienne

 

Gusto Gräser

Gusto (Gustav)  Gräser est né le 16 février 1879 à Brasov en Transylvanie. Il était le frère de Karl Gräser et tous deux figurent parmi les fondateurs du Monte Verità en 1900 à Ascona.

la famille Gräser en 1893

de gauche à droite : Gustav Gräser, Karl Gräser, Charlotte Gräser, Josefine et Enkelin, Samuel Gräser

 

Gusto Gräser étudiait la lithographie à Vienne lorsqu’il entendit parler du Himmelhof et qu’il se décida à le rejoindre.

 

Gusto Gräser arrive à Himmelhof en avril 1898. Il y découvre le pacifisme, l'harmonie avec la nature, le régime végétarien ainsi que toutes les formes d'art. Enthousiaste, il écrit : 

Pauvre humanité !

Une fois que vous avez quitté le chemin de la nature,

vous êtes tombé dans l'erreur, source de tous les maux…

Vous ne reconnaissez plus votre propre mère, vous

ne vous reconnaissez plus ! Vous vous moquez ou ignorez

l'amour de votre terre mère, la voix pure de votre cœur,

la voix familière de la nature , la seule chose qui est sacrée pour vous c'est votre folie ! … 

Se connaitre! … Reconnaissez, l'humanité, votre mère, la NATURE !

 

Bien que Gusto Gräser adopte avec ferveur les vues révolutionnaires de son maître, il souffre des conditions chaotiques qui règnent dans la maison et ne peut se défaire d’une résistance naturelle à l’autorité. Gräser est intérieurement tiraillé entre l'admiration, la volonté de se dévouer, la volonté d'être fidèle d'une part, et l'indignation face à ce que le maître attend de lui: obéissance aveugle aux instructions de Diefenbach, soumission inconditionnelle, fermeture des yeux sur l'évidence, incohérences et chaos dans les pratiques économiques, sociales et morales de la communauté.

Comme tous ceux qui y entraient, Gräser s'était engagé à rédiger un récit de sa vie et à tenir un journal à l'attention du maître. Il n'a cependant jamais écrit ce récit, et s’est contenté, après de nombreuses hésitations, de tenir le journal de son séjour au Himmelhof, journal commence par un refus : le refus d'écrire un journal.

De la même manière, Gräser refuse d’abord de porter l’habit qui fait le rite et l’identité des membres de la communauté. Habit que les disciples endossent quasiment le jour de leur arrivée, et que Gräser ne consentira à adopter que quelques mois après.

 

Gräser traite Diefenbach d’égal à égal, inverse les rôles, enseigne au maître, le rappelle au calme et lui déclare finalement qu'il n'est plus digne d'être appelé son maître. Gräser s’est opposé frontalement à tout ce qu’il a pu découvrir comme incohérences et hypocrisies chez Diefenbach. Mais cette opposition, cet exercice critique, a permis à Gräser de développer et renforcer ce qui faisait sa personnalité et qui fera plus tard sa pensée, et c’est pourquoi il a toujours gardé des liens respectueux, d’amitié peut-être, avec Diefenbach, à qui il ira rendre visite à Capri en 1912. 

Diefenbach à conduit Gräser à le dépasser.

 

À l'automne 1898, alors que Gusto Gräser vivait dans la communauté Himmelhof, un groupe de jeunes étudiants du prédicateur de la nature Johannes Guttzeit les ont rejoints. Avec leurs idéaux chrétiens primitifs – vivre comme le muguet, fraternellement et sans aucune violence – ils ont impressionné Gusto Gräser,
Wilhelm Walter et Anton Losert ont emporté leur adhésion alors que se formait déjà chez eux une critique de Diefenbach mais qui n’était fondée que sur son autoritarisme.

Par l'intermédiaire de ses partisans, Guttzeit a donné une impulsion significative pour dépasser la réforme “modérée” prônée par Diefenbach et en proposer une version plus radicale qui suppose de s’engager dans une vie errante sans argent, sans travail, sans passeport, sans biens. C’est le régime que Gusto Gräser va adopter comme mode d’existence jusqu’à la fin de ses jours et qui encore aujourd’hui contribue à façonner sa légende dans les milieux de la contre-culture.

 

Gusto Gräser quitte Himmelhof en octobre 1898.

Dissolution

Expulsion de Diefenbach du Himmelhof, 1899

 

En 1899 la communauté du Himmelhof est déclarée en faillite. Diefenbach et ce qu’il reste de disciples sont expulsés.

Diefenbach part alors pour Capri, où il réalise une exposition qui soutient localement sa réputation, mais sera rapidement oublié en Allemagne.

Karl Wilhelm Diefenbach, Capri en 1913

 

En 1908, Diefenbach reçoit la visite de Ida Hofmann et de Henri Oedenkoven, deux des fondateurs du Monte Verità à Ascona.. 

Le 15 décembre 1913, Diefenbach meurt d'un cancer du côlon. Le corps est transporté sur une barge jusqu'à Naples avant d’être incinéré à Rome. Son urne funéraire a disparu pendant la Seconde Guerre mondiale.

 

On trouve aujourd’hui à Vienne le Bundesinternat Wien am Himmelhof, qui abrite le Lycée diefenbach, et se présente sur la page d’accueil de son site internet comme suit:

Notre objectif est :
Nature, pleine conscience, vivacité :
apprendre à vivre ensemble en pleine conscience à la campagne »

L'objectif principal du projet est de donner à nos étudiants une approche holistique de la santé et de la nature. Notre situation au milieu de la campagne est idéale pour leur faire découvrir des sujets qui les concernent directement et pour les guider vers une vie plus consciente.
La nutrition, l’exercice physique, l’apprentissage social et la communication, la relaxation et la prévention du stress ainsi que l’estime de soi et la prévention des dépendances devraient être également inclus et sensibiliser les enfants à la façon de se traiter eux-mêmes, ainsi que les autres et leur environnement, avec soin.

Sonnen-Aufgang
1885-1889
Höllriegelskreuth
J. F. Guttzeit
Fidus
1890-1894
controverses
1895-1913
Trombinoscope
Vienne
réformistes viennois
l'Egypte
Himmelhof
volte-face
Paul von Spaun
la presse viennoise
Gusto Gräser
dissolution

site mis à jour en février 2025

bottom of page