expographie 1
Sylvain Sorgato
Décrocheurs - Aussteiger - Dropouts
artistes, anarchistes, proto-écologistes, vagabonds et hippies
un récit possible du XXème
Partie V: Wandervögel - Völkisch
À pied, sur terre
(temps de lecture : 27 minutes - 32 illustrations)
Cette partie s’efforce de comprendre comment l’émergence d’un mouvement de jeunesse a pu rencontrer les aspirations d’une manipulation culturelle nationaliste.
J’y raconte la constitution d’un mouvement de jeunesse : les Wandervögel; porteurs des valeurs du Lebensreform, et comment ils vont se trouver partie prenante de la construction culturelle Völkisch.
Si cette section prend une place importante dans cette recherche, c’est parce que la personnalité primordiale de Hermann Hoffmann Fölkersamb s’impose comme celle de l’auteur d’une forme de décrochage aussi poétique que radicale (et féconde : l’invention du Wandervögel pouvant évoquer les balades situationnistes ou les road movies) qui va se trouver confrontée à la pensée populiste bientôt dominante de l’époque. Cet épisode montre la complexité des rapports d’influence et d’instrumentalisation à l’oeuvre entre les aspirations populaires et les organisations politiques.

le groupe des Wandervögel aus Steglitz vers 1930
Archives Fédérales Allemandes
Un mouvement de jeunesse est né en 1896 dans la banlieue berlinoise à Steglitz du décrochage de jeunes étudiants opposés aux effets de l’industrialisation massive qui eut lieu en Europe à la fin du XIXème siècle.
Pour donner un élément de contexte: en 1871, la population urbaine en Europe représentait 36 % de la population totale, en 1900 elle représentait 54 %.
Dans les grandes villes, la population a doublé entre 1871 et 1900.

anonyme
Krupp : ateliers de fonte d’acier à Essen, 1880
La bourgeoisie, aux commandes de la société allemande de la fin du XIXème, est amenée à faire face à un prolétariat de plus en plus nombreux, soutenu par la production de corpus théoriques à la suite du Capital de Karl Marx (publié en 1867), et qui tend à s’organiser.
Limitée dans ses ambitions politiques par une aristocratie soucieuse de préserver ses privilèges, la bourgeoise allemande n’a pas su trouver une attitude politique commune, ni s’entendre sur un système politique qui lui permette de s’exprimer en tant que classe sociale dominante : on retrouve des représentants de la bourgeoisie dans tous les partis politiques : de la gauche jusqu’à la droite.
Dans les faits, la bourgeoisie allemande s’est désintéressée de sa propre représentation politique, pour se consacrer exclusivement aux affaires qui permirent son enrichissement personnel.
Les années de 1871 à 1900 sont celles d’une grande prospérité économique entrecoupées de crises (ces crises seront le fardeau des classes populaires, la bourgeoisie ne se préoccupant que de réussite économique et sociale
individuelle).

anonyme
la famille de Friedrich Alfred Krupp sur la terrasse de sa villa de Capri, 1898
Quelques voix se sont élevées pour critiquer, au nom de « l’âme », cette quête obsessionnelle de l’argent et du confort matériel. Nietzsche en est demeuré la figure la plus évidente, mais à l’époque, les voix les plus puissantes sont celles de Paul de Lagarde et de Julius Langbehn et elles connurent un succès immense. Leurs théories mêlaient le nationalisme anti-bourgeois le plus exacerbé avec une mystique du sol et du sang qui produisirent le récit populiste pangermanique Völkisch.

anonyme
vue de l’usine d’acier Krupp à Essen, 1900
Déclarant que la jeunesse populaire, espoir de la nation allemande, ne peut pas rester prisonnière des cités enfumées de l’ère industrielle, le mouvement Wandervögel va pour sa part progressivement faire sortir la jeunesse de l’avenir tracé pour elle en l’incitant à des randonnées épiques dans les forêts et montagnes allemandes. Tournant radicalement le dos aux villes, à leurs usines et à l’autoritarisme de leurs aînés, les Wandervögels vont chanter sur les chemins le plaisir d’être de jeunes vagabonds organisés en bandes fraternelles, et, jeunes adultes en devenir, vont cheminer en brassant les idées de l’époque, et inévitablement croiser la route de la pensée Völkisch.

atelier de formation à la mécanique lourde de la société Schlickert & Co., 1902
Hermann Hoffmann Fölkersamb

Hermann Hoffmann-Fölkersamb (1875-1955)
Fiction :
Hermann est un garçon sensible.
Hermann ajuste sur l’arête de son nez les bésicles cerclées qu’il s’est choisies par coquetterie mais qui lui sont indispensables à la lecture comme à la bonne perception des espaces. Le nœud papillon est parfaitement ajusté, le gilet boutonné, reste le canotier qui réclame d’être chaussé sur un crâne qui se refuse à sortir sans être coiffé. Le miroir rend une image convenable, conforme, satisfaisante, qui fait discrètement sourire Hermann alors qu’ il glisse dans sa poche intérieure une pochette légèrement parfumée.
C’est une belle journée du début de l’été 1896 qui annonce le début du siècle nouveau. Ça ne fait pas vraiment un sujet de discussion puisque les uns et les autres restent confortablement assis dans le fauteuil rassurant des promesses que laisse entrevoir la noce de l’industrie et du capital.
Tout ira bien dans un monde prospère. La science découvrira et la technique pourvoira. Fini le labeur, terminées les corvées, tu parles! Hermann connaît bien le revers de ces pourpoints brodés, lui qui paie ses études en dégrossissant de jeunes paysans égarés dans les villes pour les soumettre au servage du tertiaire. Finis les foins! il faut maintenant administrer, enregistrer, scribouiller les faits du capitalisme naissant, et c’est de la formation de tout ce prolétariat installé dans les faubourgs misérables de Berlin qu’ Hermann tire ses quelques revenus en enseignant à toute cette jeunesse l’art cryptique de la sténographie.
Un bon tour. Il pourrait jouer un bon tour.
Fin de la fiction.
En 1894, Hermann Hoffmann-Fölkersamb commence à étudier le droit et les langues orientales à Berlin. En tant qu’étudiant, il se porte volontaire pour enseigner la sténographie aux élèves du lycée de Steglitz (sud-ouest de l’actuel Berlin).
C’est là qu’il va inciter ses élèves à la pratique de la randonnée. D’abord “en douce”, puis abordant plus frontalement la résistance des autorités scolaires contre les excursions proposées, Hermann va se frayer un chemin en étant soutenu par les parents et des pédagogues les moins classiques, conscients, grâce à leur lecture de Nietzsche et de Langbehn, que l¹éducation doit quitter le trop-théorique pour prendre la vie et le réel à bras le corps.
Pendant près de trois ans, de 1896 à 1899, Hermann entreprend des randonnées avec ses étudiants dans les montagnes du Harz, du Brandebourg, sur le Rhön, le Spessart et le long du Rhin.

1897, randonnée dans la forêt de Grunewald avec l‘association de sténographie du Lycée de Steglitz près de Berlin.
A partir de la gauche: Karl Fischer, Hellmuth d. Ä., Hermann Hoffmann, Hellmuth d. J., Bruno Thiede, en haut: Heinrich Sohnrey jr.
Une vingtaine d’élèves ont participé à la randonnée de l’’été de 1899 dans la forêt de Bohême, dont les futurs Wandervögel Karl Fischer, Hans Breuer, Wolfgang Meyen et Richard Weber.
Au cours de ces voyages se sont développées les formes de l’esprit communautaire: un esprit de camaraderie marqué par la jeunesse, l’esprit libre et sans contrainte, un idéal de vie spartiate, simple.

juillet 1898 : raid dans le Harz – Traversée de la rivière Kalte Bode (au nord de Elend, entre Göttingen et Magdebourg) – Hermann Hoffmann, responsable, devant à droite. Participants: les frères Hellmuth, Bruno Thiede, Rudolf Schrey, Heinersdorff, Ernst Kirchbach, Karl Bonin, Fritz Meyen, Egbert Patzig
Pour Hermann il s’agit de soustraire à leur sort les jeunes qu’il est censé former à alimenter la machine à écritures administratives. Il s’agit d’inciter ces jeunes à tracer leur chemin, à décider de leur destin, de tourner le dos au formatage en classes sociales. Et tout cela peut se réaliser si je ne sais pas d’emblée où je vais, et tout cela réalise un bien secret et précieux : la camaraderie.

Juillet 1898, lors du raid dans le Harz – Vue du Hohenstein, Sud-Harz – de la gauche vers la droite : Hermann Hoffmann, responsable, Rudolf Schrey, Fritz Meyen, Gottfried Heinersdorff, Arnold Hellmuth, Fritz Hellmuth
En 1899, Hoffmann fut contraint de rentrer dans le service diplomatique, ce qui l’obligea à céder la direction du groupe de randonnée à Karl Fischer, qui, en tant que successeur, lance officiellement le mouvement Wandervogel en enregistrant le groupe comme association à Steglitz le 4 novembre 1901.

L. Orth, photographe à Giessen
Wandervögel à Giessen, 1900
Escholiers Pérégrinants

carte postale Wandervögel, 1910
A partir de la randonnée originelle de 1897 à Steglitz, vont se développer sur l’ensemble du territoire allemand quantité de petits groupes locaux de randonneurs qui vont entreprendre de véritables excursions, parfois longues de plusieurs semaines, à travers l’Allemagne wilhelmienne, et toujours placées sous les auspices des établissements scolaires réformistes.
Ces expéditions vont produire le symbole d’une révolte générale contre l’ordre établi (école, industrie, administration, etc.). Le mouvement exprime progressivement des aspirations qui critiquent l’ordre établi au nom d’une éthique de l’austérité (anti-consumériste) et veulent renouer avec la tradition médiévale des escholiers pérégrinants.

Hermann Hoffmann lors d’une randonnée dans la forêt de Tegel en septembre 1897
Sur la photo les Wandervögel de la première garde : au dernier rang de G. à D.: Bruno Thiede, Fritz Gröning, Karl Wrobel, Karl Bonin, Juhan Ballenstedt; au milieu: Markwald (?), Ernst Kirchbach, Fritz Hellmuth, Rudolf Paulsen, Arnold Hellmuth, Franz Garthaus, Karl Fischer, Eberhard Müller, Karl Wille; devant: Gottfried Heinersdorf, Hermann Hoffmann
Les premières randonnées s’apparentent à du vagabondage. Le camping n’existant pas et il a fallu tout inventer, consentir à dormir à la belle étoile ou sur la paille d’une grange (donc: tenue débraillée et yeux bouffis dès le deuxième jour), repas composé de ce que l’on a pu fourrer dans sa poche ou échanger contre un coup de main. C’est ainsi que se nouent entre ces marcheurs des liens de compagnonnage suffisamment étroits pour produire des codes de langage par exemple, et souvent inspirés de l’argot vernaculaire ou des vagabonds de l’époque. Pour quantité de ces jeunes, ces randonnées vont s’apparenter à un rite initiatique: le passage vers un style de vie privilégié, donc enviable.
L’inconnu vers lequel s’engagent ces marcheurs crée entre eux des liens très puissants et tous les codes d’un habitus qui se développera ensuite dans les pratiques de la randonnée, voire du trail.
Le dénuement auquel consentent ces jeunes Wandervögels en s’engageant dans ces randonnées les conduit à formuler une critique radicale des modes de vie bourgeois hérités de leurs parents. Ces randonnées impliquent des groupes autonomes, auto-organisés, auto-hiérarchisés (bien que conduits par un Grand Frère, un Führer), dans des épisodes qui vont les placer en marge de la société. Ces moments de randonnée hors des villes deviennent l’espace, le domaine réservé et bientôt le royaume intérieur de la jeunesse allemande de l’époque.
Ce mouvement va essaimer dans l’Allemagne toute entière, jusqu’à devenir une force politique convoitée.
C’est peut-être un malentendu qui a rendu ces randonnées acceptables par la société paternaliste wilhelmienne: en 1903, alors que des groupes Wandervögel ont déjà essaimé à Poznań, Munich, Hambourg et Lunebourg, l’écrivain et pédagogue Ludwig Gurlitt adressa au ministère de l’éducation de Prusse un rapport sur l’activité de ces groupes afin d’obtenir la reconnaissance officielle de l’association qu’il présente comme ayant pour but le développement du goût pour les voyages, de proposer aux jeunes des occupations saines et instructives, d’affermir leur caractère et leur esprit de camaraderie voire : de les préparer à leur futur devoir militaire.
Mais là où Gurlitt fait mouche, c’est en déclarant que
l’aspect le plus réconfortant et le plus prometteur du Wandervogel est sans doute qu’il s’agit… d’un processus, de guérison, issu de notre jeunesse elle-même et dirigé contre les faiblesses et les mauvaises habitudes transmises par les générations précédentes, phénomène que nous, les adultes, devrions observer en nous réjouissant en silence, et aider de notre mieux.
Si la jeunesse déclarée consciente de ses faiblesses plaide pour sa propre régénérescence, alors la reconnaissance officielle ne tarde pas, et les Wandervögel seront reconnus et soutenus par l’empire prussien et ses institutions. La voie est alors libre pour former un mouvement populaire.
Seulement, et c’est là que se trouve le malentendu, si régénérescence est un des mots-clef de l’Allemagne de l’époque, celui-ci est présenté par le pouvoir et la bourgeoisie comme le bénéfice que l’on peut attendre de la modernité; alors que les Wandervögels vont rapidement devenir un vecteur de diffusion des idées Völkisch qui, précisément, s’opposent à une modernité imposée, machiniste plutôt que spirituelle, et dont les Wandevögels refusent de payer un prix social et spirituel.
Le mouvement Wandervögel étonne par la diversité des sensibilités qui ont adhéré et souscrit à ces randonnées. Ce morcellement idéologique et social donnera lieu à de vives oppositions internes, mais contribuera certainement à la popularisation la plus large du mouvement et c’est cette dynamique qui va intéresser le NSDAP et le parti nazi qui en centraliseront les tendances sous la bannière des Jeunesses Hitleriennes.
Völkisch
Le mouvement Völkisch est un courant intellectuel et politique apparu en Allemagne à la fin du XIXe siècle qui englobe un ensemble de personnalités et d'associations dont l’élément commun est le projet de donner pour religion à l’ensemble des Allemands le paganisme germanique.
Ce courant d'idées puise ses sources dans le romantisme allemand et dans les désillusions de la période 1849-1862, entre l'écrasement du printemps des peuples et l'arrivée de Bismarck au pouvoir en Prusse.

Frédéric Sorrieu (1807-1887)
1848 - La République Universelle démocratique et sociale, ca. 1848
Musée Carnavalet, Paris
Important par le nombre de ses groupuscules plutôt que par celui de ses adhérents, le mouvement Völkisch a produit une nouvelle définition de la nation articulée à partir d’un rapport idéalisé entre de la nature et le peuple.
La pensée Völkisch considère que l’éclosion du génie spécifiquement allemand est à trouver dans l’enracinement de son peuple dans son terroir. Pour favoriser cette éclosion il convient de raviver un passé germanique largement mythique et mythifié dans le cadre d’une pensée occultiste en lutte constante contre le christianisme et les monothéismes. La pensée völkish va donc rapidement se trouver des ennemis partout autour d’elle, cette crainte se cristallisant autour des communautés juives à l’encontre desquelles elle va développer un antisémitisme féroce.
En 1871 l’Allemagne n’est pas encore une grande puissance économique. Si elle a déjà dépassé la France, elle demeure cependant loin derrière l’Angleterre et les Etats-Unis et souffre d’un lourd handicap économique : l’Allemagne ne possède pas de colonies. Son atout c’est le charbon, et sa capacité en développement à produire de l’acier.
À l’instar des nations voisines (l’Allemagne est une monarchie parlementaire jusqu’en 1918), la compétition engagée n’est pas seulement économique mais également culturelle. L’initiative revient à l’Angleterre avec le Préraphaëlisme dès 1848, suivie de la France avec la peinture d'histoire vers 1860, rejointes dans cette course par l’Allemagne à partir de 1890. Dans les trois cas il s’agit d’aller puiser dans un indicible passé les ferments d’un récit capable de fonder l’identité nationale.

Evariste-Vital Luminais (1821-1869)
Vedette Gauloise, 1869
peinture à l’huile sur toile, 134 x 68 cm
Musée des Beaux-Ars de Nantes
Cette course à l’identité nationale va s’autoriser à travestir l’histoire aux couleurs nécessaire des états concernés, et supposer de vastes entreprises de manipulation des foules en ayant recours à tous les medias possibles et leurs plus récentes techniques : depuis la peinture la plus édifiante jusqu’à l’impression en masse de littérature nationaliste.
Un exemple significatif tient dans l’invention de la phototypie par les frères Charles et Paul Géniaux. Cette invention va permettre dès 1880 la reproduction en masse de photographies dans toutes les publications et rendre possible l’invention de la carte postale, qui deviendra un vecteur essentiel de la diffusion de l’iconographie.
Le marché de la littérature va devenir un marché de masse qui va très rapidement être exploité par des courants de pensée antidémocratiques et bellicistes issus des milieux de la petite-bourgeoisie. Cette petite-bourgeoisie entend obtenir par d’autres moyens le pouvoir dont la prive la grande bourgeoisie: celle qui détient le capital.
La parution d’un livre confère toujours un certain prestige, à son auteur comme à son lecteur. La population allemande de l’époque est encore à peine lettrée et pas mieux formée que les autres à l’esprit critique. Il sera donc assez facile de diffuser le récit d’une idolâtrie flatteuse sous couvert de littérature pseudo-scientifique populaire, afin de promouvoir les idées pangermanistes.

Friedrich Lange (1828-1875)
Reines Deutschtum: Grundzuge Einer Nationalen Weltanschauung, 1893 (édition de 1904)
En 1893 Friedrich Lange titrera sans hésiter Germanité pure (Reines Deutschtum), la notion d’espace vital (Lebensraum) apparaît sous la plume de Friedrich Ratzel en 1901, bientôt suivi en 1907 par Ernst Hasse et son Avenir de la Peuplité Allemande (Die Zukunft des deutschen Volkstums), avant qu’en 1911 Richard Tannenberg ne publie La Grande Allemagne (Groß-Deutschland) ou que le général Friedrich von Bernhardi n’écrive en 1912 L’Allemagne et la prochaine guerre (Deutschland und der nächste Krieg), titres choisis parmi la floraison de publications du genre à la même époque.
Parmi la quantité invraisemblable d’intellectuels ayant participé à la constitution de ce récit nationaliste, deux penseurs ont joué un rôle tout à fait majeur dans la construction de la pensée Völkisch : Paul de Lagarde, inspiré par un nationalisme religieux, tenant d’une germanité fondée sur l’âme plutôt que sur la race ou antisémite virulent; et Julius Langbehn qui voue une haine féroce à la démocratie, idolâtre du moyenage et antisémite radical, qui croyait fermement en un homme providentiel, .
Le courant Völkisch joua un rôle mobilisateur important lors de la révolution conservatrice sous la république de Weimar et certaines de ses idées furent reprises par le nazisme.

Philip Veit (1793-1877)
Germania, 1848
Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg
Volk
C’est à Johann Gottlieb Fichte (1762-1814) que sont attribués les fondamentaux de la pensée pangermaniste à l’origine du Völkisch. La pensée de Fichte est encore exempte de l’idée de race, mais exprime explicitement la primauté du peuple allemand comme celui ayant conservé à travers toute l’Histoire le contact avec les sources originelles.
Les termes Völkisch et Volk partagent en commun une racine : le terme Volk.
Le Volk ne renvoie pas uniquement à une population donnée, mais aussi, pour les théoriciens de la nation allemande au XIXe siècle, à quelque chose de plus abstrait : un intermédiaire entre les individus et une entité supérieure, d’essence divine, et qui s’incarnerait dans la nature. Si certains renvoient cette notion à celle d’une nature perçue comme spécifique à un espace donné, vivante et spontanée, d'autres l’étendent à l'univers tout entier.

Fidus (Hugo Hoppner) (1868-1948)
Yggdrasil (Die Weltesche), 1906
Pour les penseurs du Volk, son enracinement à un paysage, à un pays, constitue l'un des piliers du Volksgeist, (fusion de «l’esprit » et de « l’âme » du peuple), qui rend indissociables l'histoire, le territoire, l'architecture, le paysage et la nature.
C’est de cette chaîne que Guido von List tire au début du XXe siècle un modèle de hiérarchie sociale basé sur l’évaluation des liens unissant chaque individu au Volksgeist germanique.

Guido von List (1848-1919)
Traditions
À partir du XIXe siècle, le terme Völkisch met l'accent sur le caractère spécifique, exceptionnel, mystique du peuple allemand et le nécessaire maintien de traditions tenues pour ancestrales.
Pour les penseurs Völkisch, tout ce qui fait référence à la société industrielle, alors en cours de formation, est rejeté.
Pour Paul de Lagarde, l'incarnation du mal, c'est le libéralisme, pour Julius Langbehn, c'est la science.
Ce refus de la modernité exprime le refus d'un monde quantifiable, réductible à des équations mathématiques et à des phénomènes mécaniques, le refus d'un monde physique composé uniquement d'atomes, c'est-à-dire de matière.

Karl Emil Rau (1858-1937)
Scène rurale idyllique, non daté
La figure emblématique du Völkisch est celle du paysan allemand. En effet, celui-ci n'est pas encore touché par la société moderne, il est demeuré au plus proche des racines du Volk germanique. Ces paysans ont leur aire de prédilection: la Basse-Allemagne, l'Allemagne du Nord-Ouest. C'est dans cette Allemagne du Nord-Ouest, l'ancienne Saxe d'avant la conquête carolingienne, que vivent selon Langbehn les Allemands les plus authentiques: les paysans Niederdeutsche, dont le spécimen constitue l'incarnation du Volk germanique, vierge de toute modernité, et d'ascendance respectable puisqu’ enraciné dans son terroir.
La modernité dans son ensemble est rejetée, car elle est accusée de briser les liens éternels des membres du Volk à leur terroir.
Sont rejetés également ceux qui, en plus d’être étrangers au terroir, apportent cette modernité.
À commencer par les Juifs, « peste et choléra passagers » selon le mot de Langbehn, peuple protéiforme, sans patrie, rendu suspect de projets de domination sur les Allemands.
Cette hostilité à l'égard de la modernité se manifeste également par la multiplication de pratiques alors perçues comme alternatives, telles que le végétarisme, les médecines douces, et le naturisme. C’est dans ce rejet de la modernité que se rejoignent le mouvement Völkisch et celui du Lebensreform.
Julius Langbehn

Julius Langbehn (1851-1907)
Julius Langbehnn aura un impact prépondérant dans le développement des idées du mouvement de jeunesse allemand. Les choses de l’esprit, le don naturel, l’âme simple des gens du peuple doivent selon lui avoir priorité absolue sur l’esprit marchand et industriel, sur les choses construites par l’homme, sur les calculs de la bourgeoisie.
Son oeuvre majeure reste le livre Rembrandt als Erzieher (Rembrandt éducateur).

Julius Langbehn (1851-1907)
Rembrandt als Erzieher (Rembrandt éducateur), première édition
Paru en janvier 1890 à Leipzig, dans la maison de l’éditeur Eugen Diederichs, cet ouvrage connaît un succès populaire immédiat et fera l’objet de trente rééditions entre 1890 et 1893. Ni biographie, ni livre d'histoire de l'art, le Rembrandt de Langbehn dépeint le portrait d'un Allemand idéalisé et devient un référent pour l’époque.
À la figure du génie romantique incarnée par Beethoven, Langbehn ajoute celle, ruralisée, de Rembrandt.
Admirateur du peintre, Langbehn fait de Rembrandt le prophète de l'Allemagne rénovée qu'il appelle de ses vœux.
Dans le cadre de ses recherches sur les Niederdeutsche, Langbehn exalte le paysan allemand de Saxe, auprès duquel Rembrandt a vécu et a trouvé son inspiration, et énonce des fondamentaux populistes convaincus de l’arrivée imminente de l’homme providentiel qui viendra satisfaire les besoins du peuple, fût-ce contre son gré.
Le thème du livre est la haine que voue son auteur à la science et au scientisme, dénoncés comme recherches intéressées du savoir et comme moyen d'expliquer le monde pour le clore. Dans le lexique de la paranoïa Völkish, le thème de l’enfermement occupe une place centrale qui témoigne du sentiment d’encerclement qui peut être celui de l’Allemagne : prise au milieu d’un continent, dans un monde qui se serait partagé sans elle (l’Allemagne n’ayant pas de colonies, l’Allemagne est sans issue).
Langbehn accuse la science d’être au service du productivisme, du capitalisme, et des intérêts de quelques-uns (qu’il ne tardera pas à nommer).
Pour Langbehn, le savant doit être et demeurer un artiste, à l'image de Rembrandt ou de Johannes Kepler, qu’il déclare l'un comme l'autre motivés en premier lieu par des considérations esthétiques. C’est l’art qui doit être le moteur du monde, pas la science.
L'art n'est pas la seule préoccupation de Langbehn : l'histoire fait aussi l'objet de ses attentions. Langbehn défend une histoire subjective, patriotique et racisée. Cette lecture de l'Histoire critique les académies et les universitaires, trop savants, trop spécialisés, trop formatés à son goût pour faire preuve des hauteurs de vue lyriques auxquelles Langbehn accorde sa préférence.
Langbehn était un grand admirateur d’un Moyen-Âge idéalisé, qu’il plaçait comme un référent immuable, juste et équilibré, mais désormais entouré d’ennemis et placé dans une société en expansion.
Langbehn exaltait volontiers le passé mythique de l’Allemagne conquérante de l’Europe en rappelant aux dynasties Souabes et aux Hohenstaufen.
Langbehn reproche aux Juifs la remise en cause de ce moyen-âge idéal en les présentant comme le bras armé de la modernité que les allemands de souche auraient à subir, avant de se déclarer en faveur de leur discrimination (un peuple à part) puis de leur élimination comme on le ferait de la peste ou du cholera au motif que ce peuple serait le principal obstacle à la réalisation des aspirations des peuples germaniques.
Langbehn exalte systématiquement le rôle qu’il attribue à la jeunesse allemande dans la grandiose rénovation nationale qu'il annonce : sa charge contre les éducateurs, ses constants appels à la frange encore non éduquée de la jeunesse contribuent à faire de Langbehn l’auteur d’une pensée national-populiste qui sera largement reprise dans les deux décennies qui s'écoulent : entre la publication de son livre et le déclenchement du premier conflit mondial.
À partir du départ de Bismarck en 1890, Langbehn pense l'Allemagne comme un pays en grand danger.
A ses yeux, le Volk allemand a besoin d'un nouveau chef, d'un Führer, capable de comprendre le peuple et de le guider; il rappelle à cette occasion un étymologie du mot Volk, qui vient de folgen (suivre) : le Volk est donc constitué de ceux qui suivent leur guide, le Führer.
Langbehn considère que le départ de Bismarck a transformé le Reich en république dirigée par un empereur pompeux et prétentieux. Selon lui, cet empereur devrait plutôt être à la fois un héros culturel et un dirigeant politique volontariste, déterminé à mener à bien la réforme morale qui donnera à l'Allemagne la force et les moyens de diriger le monde.
C’est à Julius Langbehn que l’on doit les fondamentaux du mouvement populiste Völkisch, qui produisent le récit prophétique de la réalisation d’une Allemagne éternelle, fruit de la fusion entre le peuple et la nature.

Fidus (Hugo Höppner) (1868-1948)
Schwertwache, ca.1920
Religion
Les intellectuels proches de la nébuleuse Völkisch aspiraient soit à une réforme du christiannisme, soit au retour au paganisme. Autour de 1910, un courant religieux néopaïen, fruit de « bricolages » intellectuels, et conçu pour être un retour à la Germanie antique, se développe parmi les membres de ces courants de pensée. Si l’on voit l’éclosion de religions solaires et la célébration quasi systématique des solstices comme des pratiques quasiment spontanées et largement répandues sur le territoire allemand, on voit également de développer des projets plus structurés : c’est le cas de l’ariosophie de Jörg Lanz von Liebenfels, qui entend renouer avec un passé germanique largement mythifié, avancé comme étant plus proche des racines germaniques du peuple allemand que celui proposé par le christianisme.

Jörg Lanz von Liebenfels (1874-1954)
Ce courant peut être rapproché de courants voisins qui prônent une germanisation du christianisme, tels les Deutsches Christen qui vénèrent une divinité solaire germanique nommée Krist.
Guido von List pour sa part élabore une nouvelle religion : l’armanisme, assortie du culte Wotansite, pendant Völkisch de la religion théosophique. Cette nouvelle religion s’exprime au moyen d’un alphabet runique fantaisiste de 18 runes dont le graphisme cryptique va devenir très populaire.

Disposition circulaire des runes d’Armanen, d’après Guido von List
Avec l’armanisme, Guido von List et Jorg Lanz von Liebenfels, vont être les auteurs de thèses qui seront fondamentales dans l’élaboration du mysticisme nazi. Heinrich Himmler, Alfred Rosenberg, Rudolf Hess et Richard Walther Darré y adhèreront puis s’en inspireront pour produire une vision nazie du monde.
Race
À la fin du XIXème est introduit le concept de race dans la pensée Völkisch. L’idée permet d’exprimer en un récit mythique donc indiscutable la supériorité des Germains (unis par des liens de sang, de langue et de culture) sur tous les autres groupes humains.
L’idée d’une hiérarchie des groupes humains traduite en une classification de races est une idée ancienne, apparue à l’antiquité, périodiquement ravivée et singulièrement soutenue au XIXème par l’invention de l’anthropologie, de l’antropométrie et de la craniométrie.
Une telle hiérarchie est conçue par Arthur de Gobineau (1816-1882) dans son essai titré Essai sur l’inégalité des races humaines publié entre 1853 et 1855 qui prône littéralement la supériorité de la race blanche sur les autres races (qu’il divise en trois groupes : la race jaune, la race noire et la race dégénérée). Son ouvrage décrit des races qui, à force de métissages se mélangent et dégénèrent. In fine, c’est la race la plus forte qui domine les autres et règne sur le monde.
Les penseurs Völkisch, obsédés par les racines du Volk germanique, défendaient l'idée de pureté de la "race" germanique ; dans un contexte scientifique marqué par le développement de l'anthropologie et de la philologie, certains penseurs Völkisch déterminent non seulement un certain nombre de traits physiques communs à tous les peuples partageant des racines germaniques, mais insistent également sur les liens de parenté entre certaines langues, donc entre certains peuples, plongeant eux aussi leurs racines dans le terreau germanique.
Cette exigence de pureté de la "race" germanique se trouve un ennemi intérieur dans l’antisémitisme. Le Juif, habitant mystérieux d'un ghetto fantasmé, est d’abord perçu comme un élément étranger au Volk ; il est un déraciné, donc privé des hautes qualités morales permises par l'intimité du lien entre le Volk et son territoire. Ce déracinement constitue une faiblesse dont le Juif est conscient et qu’il essaie de contourner en ourdissant des complots contre les non-Juifs.
Dans les années 1850, la littérature populaire présente le Juif comme un archétype caractérisé par l'avarice, l'ambition, l'envie, la laideur et l'absence d'humanité: il ne peut donc connaître l'ascension sociale que s'il s'appuie sur des procédés déloyaux, qui l'opposent à l'Allemand (ou au chrétien), membre d'un Volk, droit et honnête, qui finit par triompher du vilain et du malhonnête par sa droiture et sa grandeur d'âme.
Dans le cadre de cette opposition qui constitue le récit du bien résistant au mal, la question juive n'est plus seulement une question de race ou de religion, mais devient une question d'éthique. Combattre le Juif devient un devoir, un travail d’hygiène dont dépend la survie de la nation.

Fidus (Hugo Höppner) (1868-1948)
Illustration pour le Congrès d'Hygiène Biologique de Hambourg, 1912
Pour mémoire, l’Affaire Dreyfus va diviser très violemment la société française de 1894 et 1906.
Le Volk est un tout unifié, organique, une communauté immuable que les évolutions de la société allemande des années 1860 désorganisent et disloquent. Pour Paul de Lagarde, les agents responsables de cette division de la nation sont les libéraux et les Juifs, les uns car ils sont favorables à la liberté de circulation des biens comme des personnes, les autres car ils forment un peuple exotique au Volk, suspecté de vouloir diriger les autres nations. À partir de 1873, Paul de Lagarde souhaite exterminer les Juifs comme on le ferait de la « vermine » ou de « bacilles » contagieux, et propose que les peuples qu’il considère “arriérés” subissent le même sort : les basques, les irlandais et les tziganes.
Pour Julius Langbehn les Juifs sont des représentants d'un peuple étranger, que le Volk allemand ne peut assimiler: une pomme qui ne peut se transformer en prune, et qu'il divise en deux catégories : les Juifs orthodoxes et les Juifs assimilés. La première catégorie est acceptée puisque identifiable, n’ayant pas renoncé à sa culture spécifique. La seconde catégorie, celle des les Juifs assimilés, donc devenus invisibles et fondus dans le Volk germanique, doit elle être exterminée, comme un poison.
Cette approche eschatologique envisage la régénération du Volk allemand par l'extermination des éléments étrangers assimilés. Cette extermination étant le préalable nécessaire à la réalisation d'un projet national allemand à l'échelle du continent européen.
Ces généralisations sont cependant à nuancer ; en effet, quelques associations Völkisch professent une indifférence sur la question, voire affirment un fort philosémitisme.
Plutôt que de prôner l'extermination des Juifs, le mouvement de jeunesse Neue Schar (La Nouvelle Foule) de Muck Lamberty organisé en Thuringe comme composante du mouvement Wandervögel, reconnaît que les Juifs constituent un peuple différent du Volk germanique mais affirment qu'une cohabitation est possible, et que cet autre Volk pourrait s'immerger dans le germanisme originel.
Le morcellement du mouvement Wandervögel se vérifie dans la diversité des prises de positions sur la question de l’antisémitisme comme pour celle du genre. Si en 1907 est créé le Wandervögel Deutscher Bund, exclusivement réservé aux jeunes filles, et la même année le Jüdische Wanderbund Blau-Weiss, exclusivement composé de Juifs, en 1913 le Wandervögel interdit la présence de Juifs dans ses rangs.

Jüdische Wanderbund Blau-Weiss, ca. 1910
Center for Jewish History
Colonialisme
Une partie importante de la nébuleuse Völkisch souhaite un essor territorial qui verrait l'Allemagne s’étendre bien au-delà des frontières du Reich. Travaillés par le sentiment d’enfermement continental causé par la situation géographique de l’Allemagne, les idéologues Völkisch sont favorables à une expansion européenne, réalisant la création d'un vaste empire continental à coloniser par l'implantation de populations germaniques à la place de populations autochtones refoulées..
Pour Paul de Lagarde, l'avenir de l'Allemagne est à l'est, sur des territoires qui seraient pris à l'Autriche et à la Russie, jusqu’à la mer Noire et l'Ukraine, qu’il s’agirait de coloniser. Lagarde s'oppose par ailleurs avec véhémence à l'émigration allemande et autrichienne vers l’Amérique.
Julius Langbehn préconise quant à lui la création d'un espace allemand d'Amsterdam à Riga, avec la réunification de tous les peuples du rameau germanique, dans le cadre de ce qu'il nomme une politique familiale.
Les armanistes de Guido von List prophétisent pour leur part la domination des Germains sur le Monde; avec comme préalable à cette domination, la construction d'un État grand-germanique, regroupant l'ensemble des populations germaniques.

British Dominion’s Year Book 1918
Les prétentions territoriales allemandes de 1915
La jeunesse
Déçus par la génération de Guillaume II, les intellectuels Völkisch se représentent la jeunesse comme l’incarnation spontanée, naturelle, de leurs aspirations et y placent tous leurs espoirs.
Les principaux penseurs Völkisch développent des corpus pédagogiques afin de former la jeunesse allemande à leurs idées : Paul de Lagarde s'en prend au système éducatif du Reich wilhelminien, qui, à ses yeux, participe à la mise en place d'un esprit mercantiliste, dispensant un savoir cloisonné, utilitaire et conformiste; et Langbehn incite la jeunesse à prendre la tête du combat contre les Juifs et les libéraux, ce qu'elle fait à partir de 1913 en excluant les Juifs de ses associations étudiantes, et à la suite des exclusions prononcées dans l’armée du Reich par le corps des officiers puis de celles décidées par la congrégation des jésuites.

La Neue Schar sur la Karlplatz d’Eisenach, octobre 1920
La Nouvelle Foule (Neue Schar) est un groupe de jeunes conduits par Friedrich Muck-Lamberty à partir de 1920. Proche des Wandervögels, la Neue Schar est soutenue par l'Église protestante et oppose la puissance des forces de l’esprit au matérialisme et à l’amour dévoyé pour le gain. Gusto Gräser sera très proche de ce mouvement.
Le mouvement Wandervögel va en actes contribuer à présenter sous un jour favorable les thèses Völkisch, allant même jusqu’à produire des objets culturels vernaculaires exemplaires d’un génie populaire Volk : des chansons, une organisation et une discipline, une homogénéité et l’appartenance organique au pays exprimée par les hommages rendus à ses chemins et paysages. La jeunesse allemande, telle qu’elle s’exprime à travers les Wandervögels, réalise de façon indiscutable (si la spontanéité que l’on accorde à la jeunesse est gage d’authenticité) les aspirations Völkisch.

Wandervögel : randonnée, musique et littérature, ca. 1920
Eugen Diederichs

Eugen Diederichs (1867-1930)
Eugen Diederichs a fondé une maison d’édition en 1896 qu’il a mise entièrement au service de la diffusion des idées du Wandervögel et de ses développements depuis une pensée en rupture avec l’époque (vécue comme mortifère) vers la pensée Völkish. Diederichs va contribuer à enrichir ces tendances en les croisant avec des éléments issus de la culture alternative réformiste de l’époque : Herman Hesse en 1899, Novalis, Maeterlinck, Rusklin, Tolstoï, Tchekov, Bergson et Hölderlin font partie premières publications figurant à son catalogue.
La maison d’édition existe toujours, sous le nom de Diederichs Verlag, propriété du groupe d’édition Random House de Munich.
Diederichs est très sensible aux idées de Langbehn, dont il publiera les ouvrages, mais entretient des positions plus modérées : Diederichs ne cède pas au nationalisme folklorique prôné par Langbehn, il vise plutôt une universalité plurielle et alternative, qu’il juge capable de résister au nivellement du libéralisme dominant, et qu’il accompagne d’une mission pédagogique à l’intention de la jeunesse dont il admire le potentiel créatif.
Cosmopolite, féru de culture baltique, Diederichs sera un fervent lecteur (et éditeur) de Bergson et de L’Evolution Créatrice (1907), à qui il empruntera l’idée d’une nature capable de création et de renouvellement permanent.
Il sera également un grand promoteur du mythe de Edda (Edda de Snorri) comme texte fondateur de la mythologie germanique dans laquelle il trouve les racines de notre force, insistant sur l’origine naturelle de la puissance et du génie allemand. Diederichs trouve dans ce texte du treizième siècle les éléments susceptibles de fonder une nouvelle mystique religieuse que l’on puisse substituer à la rigidité des institutions confessionnelles en place et auxquelles il reproche d’avoir bureaucratisé la foi. De fait, en s’élargissant aux religiosités traditionnelles et non chrétiennes de Chine et d’Inde, Diederichs va favoriser l’émergence des sociétés théosophiques en Allemagne.
En 1903, Diederichs écrit au Pasteur Theodor Christlieb qu’il voulait, par son travail d’éditeur, promouvoir une religion sans regard vers le passé, et dirigée vers l’avenir. Pour désigner cette religion « futuriste », Diederichs parlait de religion du présent, religion de la volonté, religion de l’action, religion de la personnalité. Avec le théologien protestant en rupture de banc Friedrich Gogarten (théologien de la crise , théologien dialectique), Diederichs évoquait une religion du oui à la Vie, une religion qui dynamise les volontés.
Diederichs est un fervent admirateur de la Fabian Society de Londres. C’est dans ce club politique fondé en 1884 qu’il puise l’énoncé de sa pensée politique et sociale de centre gauche et qui s’exprime en ces termes chez les Fabianistes :
Les membres de la société affirment que le système compétitif assure le bonheur et le confort du petit nombre au détriment de la souffrance du plus grand nombre et que la Société doit être reconstruite de telle manière qu'elle garantisse le bien-être général et le bonheur.
Eugen Diedrich entretient le projet utopique d’une mystique sociale éclairée, susceptible à ses yeux d’établir la nouvelle culture allemande que l’Empire de Guillaume II ne parvient pas à développer à la hauteur des ambitions que l’Allemagne est capable de porter.
SERA

célébration du solstice de l’été 1913 par le Cercle SERA
Diederichs va développer l’idée d’une organisation de jeunesse festive : le Cercle Sera, qu’il fonde vers 1907. Le Cercle Sera permettra à Diederichs d’entretenir des liens étroits avec le mouvement des Wandervögel.
Le Cercle Sera recrute une élite étudiante et lycéenne, très cultivée, adepte d’une mixité jugée scandaleuse à l’époque, jeunesse susceptible de s’engager dans la recherche de nouvelles formes de vie et d’une éthique nouvelle.
La création de ce Cercle va permettre à Diederichs d’exprimer son goût pour une culture dyonisiaque, expressive, qui soit l’expérience d’un moment sacré de la communauté, d’une transcendance par la collectivité qui se réalise en particulier à l’occasion des célébrations du solstice d’été. Diederichs tenait à ce que ces rassemblements soient chaque fois l’occasion d’injecter dans les esprits de nouvelles idées ou de nouvelles formes. Ainsi la chanteuse norvégienne Bokken Lasson, à la croisée de la chanson folklorique et de cabaret , participe en 1905 au solstice de la Lobedaburg. En 1906, des groupes de danseurs suédois présentent des danses traditionnelles réactualisées. En 1907, les jeunes de Iéna présentent de nouvelles danses de leur composition, inspirées de la poésie lyrique des Minnelieder médiévaux.

Bokken Lasson à Hamburg en 1902
Chaque fête du 21 juin est l’occasion de découvrir une facette de la littérature ou de la pensée panthéiste européenne (François d’Assise, Spiele de Hans Sachs, poèmes d’Eichendorff ou de Goethe), présentées sous des formes toujours actualisées.
A la suite des fêtes solsticiales et sous l’influence des randonnées des Wandervögel, le groupe pratique les Vagantenfahrten, les randonnées vagantes, à l’instar des escholiers pérégrinants du Moyen Âge, en arborant pour l’occasion des costumes inspirés de traditions médiévales.
Diederichs espère que cette petite phalange de jeunes, garçons et filles, cultivés et non conformistes va entraîner dans son sillage les masses allemandes et les tirer hors de leurs torpeurs et de leurs misères.
Période nazie
Durant les années 1920, un certain nombre de partis politiques se réclament explicitement du courant Völkisch et parviennent, lors d'élections locales, à faire élire certains de leurs représentants dans les Landtage des États fédérés au sein du Reich; ainsi, Artur Dinter parvient à se faire élire député à la diète de Thuringe, sous l'étiquette du Deutschvölkische Freiheitspartei.
Le NSDAP essaye par la suite de se profiler comme la force agissante du mouvement Völkisch en vue de mettre en avant sa vision du monde. Dans Mein Kampf, Adolf Hitler écrit :
Le Parti national-socialiste des travailleurs allemands tire les caractères essentiels d’une conception Völkisch de l’univers
et
Aujourd'hui toutes les associations, tous les groupes, grands et petits — et, à mon avis, même de « grands partis — revendiquent le mot Völkisch.
Hitler appelle donc explicitement à la mise en place d'un État Völkisch, sur un territoire composé uniquement d'Allemands et de Germains.
Marginalisés dès le milieu des années 1920 au sein d'un parti de plus en plus conçu pour accéder au pouvoir, les idéologues Völkisch les plus en vue, mais les moins bien en cour sont exclus du parti, à l'image d'Arthur Dinter, exclu en 1928, à la suite des manœuvres de Martin Bormann, alors responsable local du NSDAP en Thuringe.
À partir de 1933 les organisations Völkisch subsistantes (et leurs dirigeants) perdent rapidement de leur signification : la plupart finissent par se dissoudre ou vivotent dans l’ombre, au sein de la SS.
Postérité
Certains aspects du mouvement Völkisch se retrouvent aujourd’hui dans l’extrémisme de droite.
En France, l'association Terre et Peuple (résistance identitaire européenne) peut être considérée comme héritière du courant Völkisch. Ce courant de pensée fondé par Jean Haudry, Pierre Vial et Jean Mabire se fait le chantre d'une idéologie agrarienne et néo-païenne, aujourd’hui augmentée d’opposition à toute forme de gauche comme à l’écologie en général.
Dans le champ de l’activité artistique plus récente, les éléments mythologiques ou naturels tels qu’employés par Joseph Beuys (rupture avec le fétichisme du progrès; anti-autoritarisme; régénérescence spirituelle, écologie…) ou Anselm Kiefer (mythification de l’histoire, centrisme européen, tradition picturale et renoncement au progrès…) peuvent être pris comme étant d’inspiration Völkisch.
Et enfin, d’autres héritiers de ce courant de pensée évoluent vers des préoccupations écologiques spiritualistes, souhaitant renouer avec une nature idéalisée, perçue après reconstruction, comme réconciliée avec l'Homme.
Parmi les personnes ayant participé à l’invasion du Capitole à Washington le 6 janvier 2021, on trouve Jake Angeli, aka Q Shaman, personnage associé à la mouvance complotiste QAnon, se mettant en scène sur les réseaux sociaux arborant des symboles du wotanisme.
Le Völkisch est un récit malléable, adaptable par toute organisation politique qui exprimerait des raisons de s’opposer ou de résister au progrès technique et qui serait tenté par l’expression d’un protectionnisme culturel ou démographique rassurant destiné à un électorat peu enclin à la critique.